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  • Un mouton et deux lapins

    Quand je suis rentré à l'appartement en fin d'après-midi, Kim était déjà là. Je le savais parce que son trousseau de clés était posé sur la console. Je suis allé à la cuisine pour me faire un café; il y avait deux lapins en chocolat, un grand et un petit, qu'elle avait ramenés d'Alsace, et trois boîtes en plastique transparent contenant des chocolats. J'ai préparé mon café, puis Kim est venue me dire bonjour. Elle m'a offert un petit gâteau en forme de mouton. Et aussi l'une des boîtes, qui contient en fait de petits lapins en pain d'épices et chocolat. C'est le curé de son village qui les lui a donnés ce week-end. Tous les ans, il offre des lapins. Il les achète en Allemagne.

    Kim dit qu'il ne faudra pas attendre pour manger son grand lapin. Dans deux semaines, il ne sera sans doute plus bon. C'est une pièce unique, faite à la main, sans conservateurs. En revanche, elle ne sait que faire du gros oeuf que lui ont offert ses élèves. Comme il doit être consommé avant octobre 2009, elle a le temps d'y réfléchir.

    Elle a emmené son lapin dans son bureau. Elle le prendra en photo avant de le manger.

    J'ai pris mon mouton en photo. Mais je ne l'ai pas encore mangé.

    J'ai mangé deux lapins.

    En marchant dans Paris cet après-midi, j'ai commenté le mauvais temps avec mon frère Jérôme. Mon père lui a expliqué pourquoi Pâques arrive si tôt cette année: c'est le premier week-end après la première pleine lune du printemps. Je l'ignorais complètement. Kim aussi.

    Mon père fut prêtre. Il sait bien des choses. Je n'avais pas envie de fêter Pâques en famille cette année. J'ai préféré rester à Paris. J'ai vu Lucien, c'était plus important. J'ai vu Lucien de samedi, 14 heures, à dimanche, 11 heures 30. C'est beaucoup. C'est en tout cas plus que d'habitude. Et d'habitude, ce n'est pas si souvent. La dernière fois, c'était début janvier, un jeudi soir. Je l'avais emmené au théâtre. C'est ce que j'ai fait ce week-end aussi. J'ai trouvé une photo de Lucien sur Internet. Il m'a suffi de taper son nom sur google. C'est une photo d'il y a deux ans. Il a le torse nu, et les cheveux longs. C'est une photo de groupe, un peu trouble, mais je reconnais les angles de son corps et de son visage. Lucien me manque. Mais Estelle m'a demandé la semaine dernière si j'étais amoureux de Lucien ou amoureux de l'amour.

    Il n'y a qu'à Lucien que je permette de fumer dans la cuisine, le matin, à l'heure du petit déjeuner.

    Quand Lucien est venu au mois de janvier, nous nous étions donné rendez-vous au théâtre de la Colline. J'ai pris le bus près de chez moi, et j'ai vu monter un jeune homme à l'arrêt suivant. Je l'ai regardé de manière appuyée, jusqu'à ce qu'il me voie: c'était lui. C'est étrange, parce que j'ignorais où il se trouvait dans Paris. Le hasard a fait que nous nous sommes rejoints plus tôt. C'est un beau souvenir. Je peux appeler ça un beau souvenir.

  • Alberto Caeiro, "Premier signe avant-coureur de l'orage d'après-demain..."

    "Qui sait si je serai mort après-demain? Si je suis mort après-demain, l'orage d'après-demain sera un autre orage qui celui qu'il aurait été si je n'étais pas mort. Je sais bien que l'orage n'a pas sa source dans mes yeux, mais si je ne suis plus au monde, le monde sera différent - j'y serai en moins - et l'orage tombera dans un monde différent et il ne sera pas le même orage."

  • Chez moi

    La maison de marbre blanc, les proportions parfaites, les arêtes nettes. L'ordre au dehors, et on imagine aussi au dedans. La maison de marbre blanc m'a laissé sans mots jusqu'à aujourd'hui. La maison de marbre blanc dans la grande cage métallique, et la guillotine qui menace. Le contraste des matières, le contraste du sombre métal et du marbre presque translucide. La maison comme emprisonnée. La guillotine: le passé tué par le présent. Et à l'intérieur de la maison, on se guillotine aussi. La maison pleine de cruauté. On brise et on casse.

    La maison et la mère. La femme-maison.

    Les maisons. Toutes les maisons que j'ai connues.

    La maison familiale, bientôt guillotinée puisque Père va la vendre. Question de mois.

    J'ai l'art de tourner la page, de quitter une maison pour une autre. Et un jour de quitter une maison pour rien d'autre. J'ai quitté ma mère aussi. J'ai quitté ma femme.

    Il y a ma fille. Elle dit chez nous. Alors je dis chez nous.

    Je ne peux dire que les lieux d'où je viens, et je n'en sais que des souvenirs. J'essaierai de dire où je suis, en notes et vers, en bribes de récits. Je me souviens rarement de mes rêves, il y en aura donc peu ici. Ici sera un peu chez moi.