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  • WO ES WAR SOLL ICH WERDEN

    ce était, je doit advenir. Bruno Beausire ne partage pas seulement ses écouteurs avec Christine Angot (ils écoutent des morceaux pendant des heures, épaule contre épaule). Il sème des phrases, aussi, il lui fait noter, au téléphone, W-O, E-S, W-A-R, S-O-L-L, I-C-H, W-E-R-D-E-N. Il dit: "Donner à une personne la solution à un problème la laisse dans son ignorance." Ou alors il reste debout à côté de la platine, chez elle, it can be beautiful if you draw no line once you enter my world, you can have what's mine, I give you all the strength you need the air I breathe I share...

    Le premier soir, je rejoignais Benoit au K., je le voyais dans le restaurant, souriant, me souriant, il m'offrait un verre, s'occupait des derniers clients, je discutais avec la patronne (mais ce mot ne convient pas à une étrange Norvégienne), elle lui disait, le lendemain, "pour une fois tu ramènes quelqu'un de bien". Chez lui, il passait de la musique sur Deezer, il me faisait écouter Junior Suite de Vanessa Paradis, je lui disais que j'avais du mal à comprendre les paroles des chansons, d'une manière générale, parce que je suis musicien, j'entends d'abord les notes, les textes me demandent un effort de concentration extrême. (Je retiens une seule phrase de l'album de Blonde Redhead que j'écoutais en boucle après la rupture avec Xavier: I'm just a man still learning how to fall.) Là, il fallait que j'entende un mot, navigant, parce que Benoit m'avait soupçonné, dans nos premiers échanges, d'être un navigant. Je comprenais à peu près, mais le contexte de la chanson ne m'aidait pas vraiment. Je la connaissais pourtant, cette chanson, je l'avais souvent écoutée, mais je n'avais jamais entendu navigant.

    Avant-hier, Benoit m'appelait vers une heure du matin, il me disait "je vais te quitter", on parlait, on essayait d'expliquer pourquoi ça ne pouvait pas marcher, on se disait de belles choses en même temps, mais il ne fallait pas que je l'attende, "tu vas m'attendre combien de temps, Pierre? il ne faut pas que tu m'attendes", puis il me faisait écouter Kaolin, je t'attendais, alors partons vite si tu veux bien, sans retour..., et aussi Michel Polnareff, s'il y a quelqu'un que ça intéresse, qu'il m'envoie son nom et son adresse, je lui raconterai l'histoire de l'homme qui pleurait sans espoir, il pleurait des larmes de verre, et quand elles atteignaient la terre cela faisait une musique angélique et fantômatique... Il raccrochait au milieu de la chanson. Je lui envoyais mon nom et mon adresse par sms. Pour le reste, je ne comprenais les paroles que le lendemain, et je lui envoyais deux sms: "Je t'attends quoi que tu en dises", et un autre reprenant des paroles de Partons vite, et puis pas de réponse. Je laissais deux messages sur son répondeur.

    Le soir, je lisais Le Marché des amants au Petit Poucet. J'appelais Cécile pour l'aider dans le choix de ses TD à la fac, Stéphane m'appelait, et la conversation commençait comme toujours par "How are you Mister Beautiful-Dark-Hair?", et pendant ce temps Benoit laissait un message. Il était en Normandie, chez ses parents. Il ne fallait pas que je l'attende, etc. Elan brisé.

    J'aurais dû penser à lui faire écouter It's now or never mais c'est trop tard, Come hold me tight, je n'ai pas ce réflexe de penser aux chansons, Kiss me my darling, ç'aurait pu être ma réponse musicale, Be mine tonight, je lui ai dit de ne pas me rappeler et qu'il ne me rappelle pas, Tomorrow will be too late, j'ai dit je suis en colère, It's now or never, je ne me serais pas permis de dire je me sens humilié, My love wont wait.

     La suite serait: Are you lonesome tonight? Do you miss me tonight? Are you sorry we drifted apart?

    En rentrant chez moi, un navigant me parlait sur msn et m'envoyait un lien vers un site, avec un code d'accès me permettant de visualiser des dizaines de photographies de lui. Je lui disais que je n'avais pas envie de chair, il me laissait son numéro de téléphone, que je notais sur une brochure d'information de la Mairie de Paris. Je mettais fin rapidement à la conversation.

    Navigant, je retiendrai ça, navigant. L'amour, on compare ça souvent à un océan, j'dis ça, j'suis pas le bateau, j'suis pas d'dans, j'ai quelques amis navigants, ils sont navigants, moi j'ai déjà tellement d'eau qui fout le camp.