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Embrassement / Errance

Terminé Fleurs de tempête. Forme de lecture inédite, roman tombeau de la cousine de quelqu'un qui m'est proche, et portrait en contraste de sa soeur, dont je guettais les apparitions au fil des courts chapitres, parce que dès les premières pages, un portrait rapide m'avait indiqué où se porterait mon intérêt: "prendre tous les risques, conduire en ayant trop bu, fumer, exposer sa vie, tomber dans les bras d'un inconnu, ne jamais payer ses contraventions, narguer avec plaisir la loi" (évoquant sa mort, le narrateur dit qu'elle avait dû emporter dans sa chambre d'hôtel des éditions de poche de Duras qu'elle ne lisait plus et dont elle ne prenait aucun soin). Etrangeté de la Bretagne, que je ne connais pas. Le Nord vécu par le narrateur et son amie comme un exil triste dans un pays sans âme, ce pays où sont mes racines et que j'ai quitté il y a à peine plus d'un an. Déambulations dans Paris, je retrouve Fargue, les noms de rues, certains endroits qui semblent tellement liés à l'intimité des personnages qu'il serait indécent d'avoir la curiosité de les chercher.

Je lis avec intérêt, mais je reste distant au début. Je continue de me poser ces questions récurrentes sur mon écriture, mes écritures, je pense que je n'écrirai plus dans la belle langue classique. Et puis commence le récit de la maladie d'Hélène, le cancer dévorant. Quelques pages avant la révélation de la maladie, le narrateur évoque la Toussaint: "L'entrée dans la saison sombre m'avait toujours mis dans un état d'inquiétude et de marasme intérieur. C'était le mois des ombres, le mois noir au cours duquel la porosité de cette terre avec l'autre monde est totale." Le dernier tiers du livre est insoutenable, je n'ai plus aucune retenue, c'est la dégradation physique de ma mère que je retrouve, la même maladie, les mêmes signes, et pour moi le même égarement de "bête blessée".

Yves-Noël est chez ses parents, je l'entends presque: «Ouhou!», reviens ma mère du p’tit magasin. J'imagine la neige, beaucoup de neige, comme dans son spectacle à la Ménagerie de Verre, où ses parents firent une entrée inattendue sur le plateau, manteaux, bonnets, lunettes, à quatre pattes. C'était la dernière de Mamzelle Poésie, c'était déjà un conte de Noël. Il écrit: "26 décembre, jour de neige, gouttelettes de vin, de vent". La figure de Duras, aussi. Yves-Noël a écrit quelque chose comme "je tiens à préciser, j'ai connu Duras". C'était dans une note où il reprenait une phrase que j'ai dû écrire, dans un mail sans doute: "j'écris comme je vis". Repentir. L'écriture et la vie, intimement mêlées, ça ne fait en tout cas aucun doute. Ecriture par ellispses, par sauts, par rapprochements soudains (je repense à ce texte de Novarina que je recopiais il y a quelque temps, ça se termine par la métaphore du tissage, du tressage, et Yves-Noël parle de ma façon de rassembler les choses, c'est bien ça, ma forme, qui vaut ce qu'elle vaut, mais qui est ma forme, et c'est amusant parce que c'est ce terme-là qui me vient souvent à l'esprit quand ça se produit, dans la tête ou sur le papier, le rassemblement, l'embrassement).

Tous ces prêtres autour de nous, qui nous accompagnent. Le prêtre de Saint-Eustache dans Fleurs de tempête, vrai guide spirituel, réflexion profonde, de jeunes prêtres aussi, des gens brillants apparemment (le prêtre de Saint-Germain-l'Auxerrois, après l'audition de l'orgue, il y a quelques semaines, le cocktail dans la sacristie, je n'avais jamais vu ça, un cocktail dans une sacristie, ni un prêtre si élégant, long manteau noir à la coupe impeccable). Le prêtre dont parle Yves-Noël: "J’ai revu Jean Guillet, le prêtre qui m’avait emmené dans les Alpes quand j’avais quatorze, quinze ans. Il est maintenant curé dans mon village natal. Il est allé chercher des photos et on a bien dû constater que cet adolescent longiligne, joyeux, presque carnassier (alors qu’en ville je suis efféminé), c’était ce que j’avais été, celui que j’avais été dans ces voyages qui m’ont tant marqué. Je dis au pluriel bien que je ne m’en souvienne que d’un seul (mais alors si nettement, comme la référence absolue). Mais les photos… Il y a donc eu deux voyages, un en Vanoise, un autre dans le Mercantour – je ne m’en souviens que d’un seul. Je me souviens de l’émerveillement suprême et que, de retour dans la plaine (après – j’imagine une dizaine de jours), je ne voulais plus parler à personne, plus renouer aucun lien et que ça avait duré au moins un jour – où j’étais cloîtré." Moi, c'est mon père, mon Père avec la majuscule aussi (le jour de Noël j'écoutais France Culture sur la route, c'était une émission sur le mariage des prêtres, il y avait une femme qui témoignait, je repensais évidemment à l'histoire de mes parents, à l'honnêteté de mon père qui avait pris les décisions qui s'imposaient pour assurer à ma mère une vraie vie de couple). Tous ces prêtres, porteurs de la parole de l'Evangile, parole d'amour (c'est ce que disait ma mère, parole d'amour, morte dans la foi la plus aveugle, si ce n'était ce soubresaut avant qu'elle perdît conscience: "on est normal / est-ce qu'on est normal / on est normal / est-ce qu'on est normal /on est normal / est-ce qu'on est normal...".)

Et Duras, enfin: "J’ai quand même raconté l’histoire. Hein, Yann, je crois que j’ai raconté l’histoire aux comédiens. Et j’ai parlé du caractère, de la nature, plutôt, d’Ernesto. Parce qu’il ne peut pas arriver au personnage, Ernesto ; il est trop vaste. Il est nommé, parce que c’est pratique. Ça m’émeut beaucoup, ce que je dis, parce que c’est ce que je pense de lui, ça. On le nomme, parce que c’est pratique, mais à tous les noms dont on le chargerait, il répondrait. Il ne sait pas qu’il s’appelle comme ça. Il ne faut pas, il ne faut pas dire le mot, mais c’est l’être humain, avec Yves-Noël, peut-être, qui est le plus proche de la sainteté, que j’ai jamais rencontré. Une sainteté aride, complètement solitaire, et probablement sans lectures, sans rites, sans messe, uniquement accompagnée de solitude, et d’une solitude terne. Voilà. Mais je crois que si on arrivait à dire des phrases comme ça, ça serait aussi fort que de nommer."

Angot citant Lacan : "le-nom-du-père/le-non-dupe-erre".

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