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  • Vanité (triptyque, 2009)

    Le plat du jour

    L'angle de vue est celui d'un homme de taille moyenne qui se tient debout: on domine la nature morte, on est dans un contexte quotidien, la photographie est prise, mais elle aurait aussi bien pu ne pas l'être, affaire de hasard et de spontanéité. Plusieurs objets: un mug vide avec un anneau brun et un dépôt assez dégoûtant au fond (un café au lait qui serait resté longtemps dans le mug, aurait refroidi, et le dépôt de la peau du lait, comme on oublie son café quand on répond à un appel téléphonique ou qu'on part rêver dans une autre pièce), une petite cuillère très fine, une boîte de conserve vide et propre de très petite taille, une autre boîte de conserve de forme rectangulaire, également propre, son couvercle recourbé (on devine une boîte de sardines). Enfin, une cartouche de cigarettes Marlboro, entamée, une partie du papier d'emballage est froissée, "Fumer provoque des maladies de peau".

    Le puzzle

    Vue en plongée: verre d'eau posé et ombre diffuse portée sur une surface en bois sombre, sans doute une table ou un plan de travail dans une cuisine, près d'une fenêtre, mais sans soleil direct. Dans le verre, un glaçon en train de fondre, forme régulière, on devine une pièce de puzzle à cause du titre, mais les contours sont déjà bien entamés.

    La nouvelle déco

    Un angle: deux murs et un plafond. Les objets sont disposés sur une planche en bois clair, vraisemblablement du pin. On imagine une étagère sur rails métalliques, et ces objets disposés sur la dernière planche, à plus de deux mètres de hauteur: un cadre de format rectangulaire, bois sculpté, très ouvragé, or vieilli, enserrant une minuscule peinture représentant un Amour potelé allongé sur le côté, bras droit en raccourci abandonné sur un tapis de verdure, ailes blanches dressées, boucles blondes, sourire absent; devant le cadre, un flacon de parfum presque vide; un objet noir en forme d'os, une inscription en lettres capitales, CHAMPION, sans doute un appareil de musculation pour les poignets et les avant-bras, une espèce d'altère* miniature; un crâne ouvert auquel il manque la mâchoire inférieure; une petite poupée, homme grimaçant habillé comme un personnage de carnaval, bras gauche posé sur le crâne, pied gauche suspendu dans le vide au bord de l'étagère; une jardinière en fonte, ouvragée, rouillée, remplie de boutons de roses séchés.

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  • Une ou deux clés

    Nous étions habillés en clowns, c'est le terme qu'il avait employé, lui, sa longue chemise ouverte et l'immense fleur bleue sectionnée à la béance du ventre blanc, et le pantalon blanc qui lui faisait des jambes de Lucky Luke. Moi, un bermuda noir, un chapeau. La réceptionniste cherchait mon nom sur la liste, "par contre il y a un seul lit", "oui", alors elle demandait: "vous voulez une ou deux clés?".

    (Le reste du récit arlésien importe peu: quelques pages manuscrites sur mon cahier bleu, du réchauffé, maintenant sans intérêt - à quoi bon mettre à l'imparfait ce que j'avais écrit au présent? - effroi aujourd'hui, en cliquant sur mes archives de novembre 2008, j'ai parcouru la page d'un oeil inquiet.

    Je préfère rapporter ce que j'ai entendu dans les expositions et conférences:)

    "Le poète est la partie de l'homme réfractaire au projet calculé." / "Le poète est le conservateur des visages du vivant". (René Char)

    "Le cadrage définit les règles et les marges du solennel." (François Cheval)

    "La photographie, c'est la petite mort du moment." (Véronique Ellena) Elle dit aussi: "ça me sauve de faire ça".

    "J'ai cinquante-quatre ans. Je me suis séparé d'une femme avec qui j'avais vécu onze ans. Mon père est mort. Ma meilleure amie est morte. Qu'est-ce que je fous ici? Je vois très peu de photos qui m'intéressent. Ils sont tous en train de regarder leur nombril, qu'est-ce qu'on en a à foutre? Prendre sa copine en photo après l'amour, qu'est-ce qu'on en a à foutre?" (Paulo Nozolino)

    (S'appeler Chloé Lafolie-Jolie... Elle a dix-sept ou dix-huit ans, son père nous prend en photo, à la chambre, il remarque l'asymétrie de mon visage, dit qu'il aime les visages asymétriques. On est au premier étage, il y a un balcon, on regarde l'obélisque renversée dans le quadrillage minutieux du rectangle de verre dépoli, les passants qui traversent la place, disparaissent silencieux, robes ondoyantes plus réelles dans le viseur.)

    "On est frappé par une chose parce qu'elle semble faire signe vers une autre chose." (Arnaud Claas, parlant de la valeur métaphorique de la photographie, et aussi:)

    "Les souvenirs sont les enregistrements d'expériences passées sans cesse recodées à partir d'expériences ultérieures."

    "Le temps, question centrale de l'existence."

    "Le temps ne passe pas, c'est nous qui passons."

    "L'idée du temps qui passe est une fiction que nous projetons sur les objets."

    "Mon cahier des charges intérieur..."

    "Raviver des éléments archaïques de la perception..."

    Puis, sur mon cahier bleu, 15 juillet 2009 (nous n'étions plus à Arles, mais à Avignon):

    Je fais ma lecture, avec Bruno et Antoine. Il fait très chaud. Damien agite son éventail rouge aux insignes de la SACD, et YN prend des photos à travers la dentelle de son éventail rose. (Souvenir pénible.) Le soir, feu d'artifice sur les rives du Gardon. Puis on regarde la vidéo de Venus & Adonis, que Sophie a donnée à YN dans l'après-midi.

    Avant d'aller à la gare TGV, je traîne à la FNAC. Je parcours un livre de Claude Régy: "Il ne s'agit pas, au théâtre, comme on le croit, de dire ou d'entendre le texte. Il s'agit au théâtre d'une étrange matière, si on arrive à la rendre sensible: il s'agit de ce que le texte fait voir. Il s'agit de travailler pour que le texte fasse voir."

  • Un petit texte pour toi

    "Je les accueille en ce moment, mon cul est une porte d'église, pour tous ces chibres égarés, ils retrouvent le noir, pulsion de mort, je ne pense qu'à me suicider, j'ai même tout ce qu'il faut et puis non! Je laisse ma tête et mes seins hocher, hoqueter sous les coups de reins, ça fait du bien, leur vie qui entre en moi, je rentre dans l'énergie du monde, je suis vivante, je cherche la chaleur de ces corps. J'adore avoir le cul en l'air, ne rien voir et sentir cette énergie qui me pousse, qui s'en va et qui revient: un psychologue, un architecte, un poète, un ingénieur, ils sont tous reçus avec douceur et générosité, je m'offre, je les écoute: "on le fera encore?", je n'en sais rien, je suis de passage, de passage dans l'énergie cosmique, ils admirent la douceur de mes seins et de mon sexe. Venez tous, je vous offre ce que vous voulez, entrez, sortez, revenez, le mouvement est pur. Mes cheveux sont tombés depuis que tu m'as laissée, je pense à toi sans cesse et tu t'en moques, tu t'en cognes! Tes yeux sont des orchidées vénéneuses. Je n'ai pas osé te parler encore, j'ai peur de troubler l'instant fragile d'une rencontre, je te dirai les mots bleus, ceux qu'on dit avec les yeux, je t'aime. Mais qu'est-ce que c'est qu'une pute? La fille qui est mariée et qui rêve de se faire baiser par son plombier ou par son boucher, est-ce que c'est une pute? Quand est-ce que les gens comprendront une bonne fois pour toutes que baiser c'est de la merde, qu'il y a une seule chose très belle c'est de baiser parce qu'on s'aime tellement. Moi j'accueille l'énergie du monde, pulsion de vie et puis un homme viendra et m'aimera, et qui me fera un enfant. En attendant, ils entrent."

    Estelle A.

  • Variations infinies de la vie

    "Telle phrase musicale est pour moi un geste. Elle s'insinue dans ma vie. Je me l'approprie.

    Les variations infinies de la vie sont essentielles à la nôtre. Essentielles par conséquent aussi au train habituel de la vie. L'expression consiste pour nous dans l'imprévisibilité. Si je savais exactement quelle grimace un tel portera sur le visage, quel mouvement il fera, alors il n'y aurait ni expression du visage, ni geste. - Mais cela est-il juste? - Je puis pourtant bien écouter sans cesse à nouveau un morceau de musique que je sais (entièrement) par coeur; et il pourrait même être joué sur un carillon. Les gestes qui sont les siens restent pour moi des gestes, bien que je sache toujours ce qui va arriver. Et même je peux bel et bien en être surpris à nouveau chaque fois. (En un certain sens.)"

    Ludwig Wittgenstein, Remarques mêlées, Flammarion, Paris, 2002.