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Vénus changée en document

Je voulais voir Les Enfants de Saturne, Yves-Noël m'en dissuade en m'envoyant un article de Rue89.com, éreintage en règle, du "verbe" au "verbiage", Py "pisseur de copie" écrirait des textes sans ratures dont la longueur serait inversement proportionnelle au temps de rédaction. Le pire, Py serait devenu le "poète officiel de la République". J'irai peut-être quand même, comme hier soir à Théâtre Ouvert, je m'attendais au pire et j'ai vu le pire, Fabrizio aussi, consterné, long monologue d'une jeune fille, une heure trente sans espace, sans pause, sans liberté, métaphores servies comme une sauce trop grasse, musique illustrative, abondante, envahissante... J'y allais parce que l'auteur est un de mes anciens profs de fac, dont j'ai essayé de lire un roman érudit il y a quelques années.

Je relis Le Problème des musées de Valéry en pensant aux balades muséales d'Yves-Noël, qui a passé plus de quatre heures hier au Louvre: "Je me sens devenir affreusement sincère. Quelle fatigue, me dis-je, quelle barbarie! Tout ceci est inhumain. Tout ceci n’est point pur. C’est un paradoxe que ce rapprochement de merveilles indépendantes mais adverses, et même qui sont le plus ennemies l’une de l’autre, quand elles se ressemblent le plus." Je retrouve les expressions qui m'avaient frappé il y a quelques années, "horreur sacrée", "Ce tableau, dit-on quelquefois, TUE tous les autres autour de lui...", et, je ne m'en souvenais pas: "En matière d’art, l’érudition est une sorte de défaite : elle éclaire ce qui n’est point le plus délicat, elle approfondit ce qui n’est point essentiel. Elle substitue ses hypothèses à la sensation, sa mémoire prodigieuse à la présence de la merveille; et elle annexe au musée immense une bibliothèque illimitée. Vénus changée en document."

Il y aussi cette exposition, "Rivalités à Venise", on ne voit que ça ces jours-ci dans le métro, Vénus au miroir, chair étalée le long des quais, domine absurdement les passants et vous observe, spectateur impudique, dans son miroir, un oeil réfléchi vous fixe et ne vous quitte plus - elle est là, l'impudeur... et que dirait Valéry, qui n'a pas connu les exposiitons incontournables sur les panneaux publicitaires?

(Hier avant de rejoindre Fabrizio je lisais Eloge de la fuite de Henri Laborit, petit livre trouvé par hasard à la Librairie de Paris, comme j'aurais découvert ma bible, le livre où j'entre comme si j'étais chez moi, ce que j'aimerais écrire si j'étais capable d'écrire sur l'espèce humaine. Je ne sais que citer, je voudrais tout citer... J'en lisais des passages à Yves-Noël tout à l'heure, il s'emparait du livre, moi j'essayais de lire des poèmes de Georges Bataille, Yves-Noël disait que c'était faiblard, j'étais d'accord... néant, dépression, défaite du langage.

Le premier chapitre de l'Eloge de la fuite se termine ainsi: "Il y a plusieurs façons de fuir. Certains utilisent les drogues dites "psychotogènes". D'autres la psychose. D'autres le suicide. D'autres la navigation en solitaire. Il y a peut-être une autre façon encore: fuir dans un monde qui n'est pas de ce monde, le monde de l'imaginaire. Dans ce monde on risque peu d'être poursuivi. On peut s'y tailler un vaste territoire gratifiant, que certains diront narcissique. Peu importe, car dans le monde où règne le principe de réalité, la soumission et la révolte, la dominance et le conservatisme auront perdu pour le fuyard leur caractère anxiogène et ne seront plus considérés que comme un jeu auquel on peut, sans crainte, participer de façon à se faire accepter par les autres comme "normal". Dans ce monde de la réalité, il est possible de jouer jusqu'au bord de la rupture avec le groupe dominant, et de fuir en établissant des relations avec d'autres groupes si nécessaire, et en gardant intacte sa gratification imaginaire, la seule qui soit essentielle et hors d'atteinte des groupes sociaux. Ce comportement de fuite sera le seul à permettre de demeurer normal par rapport à soi-même, aussi longtemps que la majorité des hommes qui se considèrent normaux tenteront sans succès de le devenir en cherchant à établir leur dominance, individuelle, de groupe, de classe, de nation, de blocs de nations, etc.".)

Commentaires

Oui, mais c'est rageant, ce texte que j'ai perdu disait justement le contraire de ce que dit Valéry - et ce que dit aussi l'expression Musée de la Danse - un musée de la vie ; il est vrai, cette sensation que je retrouve mal au Louvre est plus facile à l'étranger, le décalage culturel suffit à taire l'érudition et à ouvrir la sensation handicapée, mais si vivante, dansante... C'était pour moi une grande nouvelle de comprendre que le musée n'est pas le musée (au sens où le comprend Valéry - qui, selon Sarraute qui s'y connaît, a raté sa vie et son œuvre).

Écrit par : le dispariteur | dimanche, 27 septembre 2009

Tu sais bien que je goûte autant Sarraute que Valéry... Ca m'amuse qu'elle l'ait foudroyé. C'est quand même bien, ce qu'il dit, Valéry, sur l'aberration de saisir par la vue un tas d'oeuvres, alors qu'évidemment il serait impossible d'écouter simultanément plusieurs concerts... Enfin, le musée reste un problème, de toute façon. (Mais heureusement qu'on a les musées.)

Écrit par : Pierre | dimanche, 27 septembre 2009

Mais non, c'est bateau, c'est amer, c'est plaintif, ce qui vaut vraiment quelque chose, tu le sais, c'est l'illumination, l'éveil, la danse, et l'endroit - c'est presque un conte de Walt Disney - où tous les chefs-d'œuvre ont l'air de se donner la main... Ça me l'a fait (au Met). A mon avis, ça doit être tout à fait possible d'écouter Mozart d'une oreille et Debussy de l'autre, mais je me trompe peut-être, de toute façon pour les tableaux, l'œil, ça n'a rien à voir (cf la dernière citation sur le regard comme l'amour plein de formes et d'apparitions) - et il se trouve que même ce qui n'est pas chef-d'œuvre à un moment participe (Rimbaud : "J'aimais les peintures idiotes...") au sens où Bernard Shaw dit que "tous" les livres participent de la Bible, tous ? Oui, exactement. Bon, allez, dodo...

(Et puis le musée, ce n'est pas à l'extérieur, c'est à l'intérieur, si tu as la sensation que l'enfant Jésus veut toucher un lapin blanc que lui retient Marie, sa mère, assise dans l'herbe, elle est où l'érudition ?, si tu en as la "sensation" ?)

Écrit par : le dispariteur | dimanche, 27 septembre 2009

Les commentaires sont fermés.