Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Quelques digressions sur ma prière pop

ART POP-POÉTIQUE

Il y a quelque folie ou quelque inconséquence à figer ses pensées en quatrains réguliers. Tout est parti du titre d’un article sur les "Jeunes Pop" dans Libération. Ces "Jeunes Pop", ce sont les jeunes de l’UMP, les jeunes de droite. Peu importe le contenu de l’article, hop hop hop, ma satire commençait aussitôt à s’écrire, avec l’idée toute simple de décliner le mot "pop", que l’usage a consacré dans le pop art et la pop music, mais qui appelait aussi le pop-corn, les fenêtres pop-up d’internet, et l’ineffable poppers. Chaque strophe commencerait par cette imploration répétée mainte fois dans le Parnasse satyrique de Viau : "Délivre-moi, Seigneur…" Le genre de choses que je lis le matin dans le métro sur ma précieuses liseuse, et qui rythme mes pas entre la station Assemblée Nationale et la rue de Grenelle, une fois sorti du métro, le livre refermé (la liseuse mise en veille, qu’on rallumera le soir). Les première rimes : "poppers" et "mœurs", "pop art" et "tarte" : assez pour être certain qu’il y aura poème. Le canevas va vite : tout est à peu près là en trente minutes, sur la pause de midi, puis les mots s’amusent, se bousculent, cela dure des heures, et même deux journées. Il n’y a rien à faire que délibérer, pour chaque situation, faire en sorte que les mots se mettent d’accord. Il faut prendre des décisions, trancher tel choix d’adjectif ou de rime pendant qu’ailleurs on laisse une situation instable en suspens, ne doutant pas que d’eux-mêmes les mots imparfaits, intrus ou importuns délogeront du carcan du poème et feront place à plus juste, mieux sonnant, plus précis ou plus équivoque (c’est selon).

Je peine, en écrivant ces lignes, à me souvenir de la toute première version de la première strophe. Mais la voici :

Délivre-moi, Seigneur,
De la Jeunesse Pop,
Qui, du pied gauche, foule
Le Mariage, et refoule
L’antique Calliope.

Calliope est le nom d’une chatte qui un jour a frappé à ma porte, quand j’habitais à Fourmies. J’avais vingt-cinq ou vingt-six ans. Je l’ai recueillie, elle n’avait que quelques semaines, semblait se plaire chez moi. Les lundis après-midi, comme je ne travaillais pas, je faisais une sieste sur le canapé vert dans le salon, et Calliope dormait sur mon ventre. L’année suivante, j’ai déménagé à Valenciennes, et, un soir de juin, je n’ai plus revu ma chatte, à l’heure où je l’appelais en faisant tinter, sur son assiette, la cuillère avec laquelle j’avais servi le thon. Je l’ai retrouvée dans le jardin d’un voisin, roide, un trou dans le cou, croquée par un pitbull. Calliope, c’est aussi le nom de la muse de la poésie épique et de l’éloquence, et je voulais dire, dans cette strophe, ou plutôt, les mots me faisaient dire, par leur agencement, que les jeunes qui se battent pour l’hyménée omnibus (c’est ainsi qu’on appellera le mariage dit "pour tous"), en battant le pavé, mettent en pièce le mariage (ce qu’il représentait, symboliquement, et concrètement aussi, jusqu’à il y a peu) et, d’une certaine manière, ils achèvent, ils continuent d’achever (car l’agonie est lente) la Poésie. N’ayons pas peur des mots (ce n’est pas le genre de la maison). Imaginez une tragédie racinienne sur une hyménée achrienne, dont le coup de théâtre serait un coming-out : impossible (ou, je le concède : impossible pour moi, avec ma représentation du monde, des hommes et de l’art). — Ombre d’une fumée, enflure du vide, songe creux, divagation.

 

TRAGŒDIA OMNIBUS

 

PHÈDRE

Hippolyte cruel, ton soudain comignoute
Et ton cœur corrompu m’afflige et me dégoûte.
Tu partais à la chasse, et ne courais que pour...
Tes jeunes compagnons, et ce honteux labour
Qu’une femme séduite, de Vénus la risée,
Ne peut imaginer qu’avecque la nausée.
Et, pour le dire encore, en sortant du placard,
Tu m’as fendu le cœur et filé le cafard :
Devant toi, effondrée, Phèdre perd les pédales.
À l'infâme récit de tes lèvres fatales,
Sa raison se dérobe et son cœur se défait.
Son amour insensée doute de ton méfait...

Las ! Des pâles mignons tu recherchais les croupes
Et le commerce impur. Mais j’appelle les troupes
De tous les dieux vengeurs...

HIPPOLYTE

                              Phèdre, il faut m’écouter
Car les lois ont changé : je m’en vais vous conter
Les glorieux progrès du président Hollande,
Et d’une nation la généreuse offrande
Aux hommes comme moi, exclus, discriminés,
À d’injustes tourments trop longtemps condamnés.
Ne croyez que je sois un achrien volage :
D’un seul j’aime le cœur, le corps et le jeune âge.
Il se nomme...

PHÈDRE

               Tais-toi, car je ne puis ouïr
Le grotesque récit d’une comédie queer.
Je connais cette loi de terrible hyménée
Qui donne tous les droits à l
’âme efféminée.
Quoi, avec ton mari, tu jouerais aux pampers,
Quand ta race te dit de conquérir la Perse ?
Tu laisses les forêts et délaisses ton rang
Pour épouser un homme et l
’aimer jusqu’au sang ?
Est-ce là le destin de cette triste époque ?
Mais silence ! Voici Œnone qui me poque...

 

Quoi d’autre qu’un drame larmoyant, comme les drames bourgeois du XVIIIe siècle ou les drames romantiques qu’on ne lit plus guère : prenons l’un de ces témoignages de couples composés-décomposés-recomposés, l’une de ces tranches de vie à la sauce open-citoyenne dont Libération a le secret. J’imagine cependant des merveilles de marivaudage (que je me sens bien incapable d’écrire) auxquelles ne pouvait certes pas prétendre Le gros, la vache et le mainate : histoire grotesque d’un couple d’hommes dont l’un accouche (c’est ainsi) d’un enfant. Va pour la comédie à grosses ficelles au Théâtre du Rond-Point, j’ai beaucoup ri.

Avant Calliope, j’avais pensé à Mérope. Et puis ça n’allait pas. Il y avait pourtant bien un rapport avec le mariage, mais ce nom qui me plaisait aurait fait boiter d’emblée le poème. On l’aurait cru inutilement abscons. "L’antique Calliope" est devenue "La vieille Calliope" (un peu moins ronflant). Et puis ça n’allait toujours pas. Alors, il m’est apparu que la strophe ne pouvait marcher avec le seul pied gauche. J’ai donc ajouté le droit, et c’est tout naturellement que j’ai laissé tomber la "vieille Calliope" pour les "instincts de salope" :

Délivre-moi, Seigneur,
De la Jeunesse Pop,
Qui, du pied gauche, foule
Et du pied droit, refoule
Ses instincts de salope.

Je ne suis pas D’Aubigné, qui peint la France en deux enfants ennemis aux mamelles écartelées d’une mère douloureuse, mais enfin, comme ça c’est dit, et redit, que je ne suis ni de cette gauche-là ni de cette droite-là. Ça s’est écrit presque tout seul, malgré moi, et mieux que je ne le fais dans cette glose, pardon, un peu lourde. Mais c’est bien moi, et je m’y reconnais.

Enfin, pour oublier ces fadaises, relisons les sonnets de Shakespeare, qui sont ce que je connais de plus beau, d’un homme à un homme :

Looke in thy glaſſe and tell the face thou veweſt,
Now is the time that face ſhould forme an other,
Whoſe freſh repaire if now thou not reneweſt,
Thou doo'ſt beguile the world,vnbleſſe ſome mother.
For where is ſhe ſo faire whoſe vn-eard wombe
Diſdaines the tillage of thy huſbandry ?
Or who is he ſo fond will be the tombe,
Of his ſelfe loue to ſtop poſterity ?
Thou art thy mothers glaſſe and ſhe in thee
Calls backe the louely Aprill of her prime,
So thou through windowes of thine age ſhalt ſee,
Diſpight of wrinkles this thy goulden time.
   But if thou liue remembred not to be,
   Die ſingle and thine Image dies with thee.

Dans la traduction de François-Victor Hugo :

Regarde dans ta glace, et dis à la figure que tu y vois qu’il est temps que cette figure en forme une autre : si tu n’en fais pas maintenant revivre la fraîche image, tu voles le monde, et tu refuses le bonheur à une mère.
Car où est la femme si belle dont la matrice inculte dédaignerait le sillon de ton labour ? Ou bien, quel est l’homme assez fou pour être le tombeau de son propre amour et couper court à sa postérité ?
Tu es le miroir de ta mère, et elle retrouve en toi l’aimable avril de sa jeunesse ; de même, à travers les vitres de ta vieillesse, tu pourras voir, en dépit des rides, le rayon de ton printemps.
Mais, si tu veux vivre pour être oublié, meurs célibataire, et ton image meurt avec toi.

Les commentaires sont fermés.