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"Personne n'est aussi seul que le son d'une flûte."

Le train est court. Je me souviens que les trains sont qualifiés de courts ou longs sur les quais du RER E, par un marquage au sol, et aussi, dans toutes les gares d’Île-de-France, sur les écrans où s’affichent les arrêts des trains. Train long, train court. Ainsi, le voyageur peut choisir sa position sur le quai : tête, queue, milieu. La première pour le pressé qui sortira de la gare en premier, la deuxième pour celui qui ne sera pas mécontent de descendre sur un quai qu’il parcourra parmi une foule compacte et lente, la troisième pour celui qui n’a pas de goût particulier pour les extrémités. Le train qui entre en gare, ce matin à Valenciennes, est court, mais l’écran ni la voix féminine qui est celle de toutes les gares de France ne le précisent. C’est que ce train qui entre en gare à 8h04 est particulièrement court, quelque chose comme un timbre-poste. C’est cette image de Christian Bobin, glanée dans un livre d’entretiens emprunté à la bibliothèque municipale, qui m’y fait penser : "J’ai grandi dans un timbre-poste : une petite cour avec la grande coupole du ciel par-dessus." J’ai rendu le livre d’entretiens et emprunté Noireclaire, appris un poème et rêvé à ces images obsédantes : "Je cherche ton visage comme on cherche un interrupteur. Le poète perce quelques trous dans l’os de la langue pour en faire une flûte. On n’est jamais aussi seul quel le son d’une flûte." C’est bien de la solitude que je veux parler, mais elle a du mal à se dire. Comme ma mémoire m’a joué des tours, voici le texte exact :

Je cherche ton visage comme on cherche l’interrupteur dans le noir.

Le poète perce quelques trous dans l’os du langage pour en faire une flûte. Ce n’est rien mais ce rien parle de l’éternel.

Personne n’est aussi seul que le son d’une flûte.

Le poème est court. C’est une source d’étonnement aujourd’hui. Dans quelques jours, cette concision et cette netteté des images me seront sans doute familières. La flûte est immédiatement celle d’André Salmon, "au milieu des Hamlets blafards jouant les airs de la folie", dans le poème d’abondance que lut Apollinaire à son mariage le 13 juillet 1909, que je chante, lis, relis, et analyse pour les besoins du métier.

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