Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Conte violet

Considérant l’intérieur de mes mains, les sillons entrecroisés de mes phalanges qui sont comme ces lignes gravées sur une paroi rocheuse récemment attribuées à des hommes de Néanderthal, je tente de déterminer leur couleur, modifiée par le froid des rues nocturnes — je viens de rentrer chez moi — et par le cirage frénétique de mon sac et de mon blouson en cuir tout à l’heure : elles sont violacées, mais je préfèrerais dire pourpres. Un rapide examen des images référencées par Google me fait penser que c’est parfaitement équivalent. Furetière écrit, à l’article VIOLET de son Dictionnaire universel, "qu’un corps est tout violet, lorsqu’il est meurtri, qu’il est gelé de froid, qu’il est couvert de pourpre, parce qu’il tient un peu de cette couleur". Le Trésor de la langue française me confirme cependant que "violacé" est plus approprié en l’occurrence : "Nez, teint violacé ; langue violacée ; doigts violacés ; joues, mains, pommettes violacées." Le mot n’apparaît pas chez Furetière. On le trouve dans le Dictionnaire de l’Académie française de 1835, et il est attesté dès 1810 dans un Traité théorique et pratique sur les maladies de la peau. La mention de ce traité me rappelle l’inquiétude de ce matin dans la salle de bains, et l’étonnement, ce soir, dans le Journal de Kafka : "Le plaisir que me procure la salle de bains. — Connaissance progressive. Les après-midis passés en compagnie de mes cheveux." Une autre chose me fait penser à Kafka : la fête qui explosait d’un appartement, de l’autre côté de la Place d’Armes, à deux heures du matin — une note de Kafka, que je ne parviens pas à retrouver, sur le dérangement provoqué par des filles qui chantent la nuit, et un gendarme qui intervient pour les faire taire.

De fait, mes mains n’ont personne où se réchauffer ces temps-ci. Elles se sont aventurées quelquefois au début de l’automne, mais rien qui leur donne une amoureuse coutume, si ce n’est le clavier du piano où je brode des accords et des mélodies, et celui de l’ordinateur où je suis à nouveau plus assidu.

Il y a aussi cette acception inouïe chez Furetière : "On appelle contes violets des contes qui n’ont point de vraisemblance, des choses qu’on n’a vues que dans ces éblouissements."

Neanderthal_Engraving_(Gorham's_Cave_Gibraltar).jpg

Les commentaires sont fermés.