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Rien n’y fait

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Je tourne peu de pages, j’écoute les livres. Que se passait-il hier, cette torpeur ? J’ai éteint mon téléphone, posé l’ordinateur sur le bureau, lancé Moby-Dick un peu au hasard vers la quarantième minute, j’en étais resté à peu près là, je voulais retrouver le narrateur dans sa chambre, l’écoutant dans la mienne. Il avait hésité beaucoup, l’aubergiste lui ayant proposé de partager le lit d’un cannibale qui tardait à rentrer, mais le banc, là, ferait sans doute l’affaire, quoi, attendre dans son lit le retour d’un inconnu qui vendait nuitamment des têtes de mort, le banc serait plus sûr, l’aubergiste entreprit de le poncer pour le rendre plus accueillant, ramassa les copeaux de bois répandus sur le carreau, le banc était trop court, il n’y avait rien à faire, il eut beau le déplacer, tenter de dormir les pieds contre un mur, c’était trop inconfortable, il se résolut à accepter la chambre et peut-être la saleté, et peut-être la mort, mais il fallait dormir, l’aubergiste se voulait rassurant mais ne parvenait pas à apaiser le narrateur. La chambre n’était pas si mal finalement, il s’allongea, à quoi pensait-il donc, sa crainte de voir surgir le cannibale, cette dernière tête qu’il veut vendre cette nuit car demain c’est dimanche et qu’aucun chrétien n’achètera une tête de mort à un païen le jour du Seigneur, le souffle coupé sous la couverture en attendant la mort peut-être, et voilà qu’entre le cannibale, il tarde à se coucher, il ne remarque pas tout de suite celui qui raconte son absence depuis tout à l’heure. L’ordinateur s’arrête, je dormais presque, ils avaient peut-être déjà embarqué, ils étaient devenus amis, partageaient le même lit, le visage buriné, entièrement tatoué, Queequeg l’imprononçable parlait une langue incompréhensible, il prenait soin de rester au bord du lit pour laisser suffisamment de place à son compère, ils étaient donc devenus amis, combien de jours et de nuits durèrent les préparatifs, le cannibale au tomahawk ne lisait pas mais comptait les pages des livres en s’émerveillant du nombre de lots de cinquante qu’il parvenait à dénombrer, émerveillé plus encore de ce que le narrateur lui faisait la lecture. Il fit une telle impression quand il mania le harpon qu’on lui promit 1/90ème de la recette quand le narrateur avait difficilement négocié 1/300ème. Ils allaient embarquer sur le baleinier. J’ai repris le fil à une heure sur le livre audio, une pâte de henné étalée sur mes cheveux enfermés dans un film plastique, protégés des rayons du soleil par une serviette sombre, une pâte d’argile sur le visage dans les vingt dernières minutes, avant de rincer tout ça pour réapparaître comment... 

La Repubblica analyse notre difficulté à nous concentrer sur les œuvres de fiction : "En ces temps de confinement, beaucoup ont éprouvé cette sensation. On essaye de se distraire en feuilletant un bouquin, ou en regardant un film ou une série, mais rien n’y fait. Nos pensées reviennent inlassablement à l’actualité. Au coronavirus. Notre faculté à nous projeter est censurée." Hasard, à l’instant Fabrizio décrit hâtivement une photographie qu’il n’a pas prise : "Si j’étais photographe, je montrerais ça, une image poignante de cette séquence que l’on vit actuellement. Mais il faudrait alors une caméra. Je la découvre en descendant les étages de mon immeuble. La lumière de l’après-midi frappe le parquet, la porte d’un appart entre-ouverte projette un autre rayon au sol, et là, juste devant la porte, au milieu du couloir, un masque bleu, usagé. Avec le deuxième rayon de soleil un son de la radio s’échappe de l’appartement et laisse entendre les actualités. La voix du chroniqueur n’est pas claire, tout se mélange, le geste d’ouverture du locataire et cette voix opaque, fermée, donnant des nouvelles du monde."

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