Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Hygiène

  • 2022 / Verso

    durer_pillows.jpg

     

    2022 comme s’il ne s’était rien passé que s’enfouir.

     

    La révolution bleue continue.
    L’espace, lui-même.

     

    Sont des citations.

     

    Il faut dire que ma langue a trinqué.

     

    LE THÉÂTRE DU VIDE.

     

    Est un titre apparemment.

     

    Encadrer le journal, une moitié plus jaune que l’autre.
    Réviser l’empilement des cartons.
    Transporter les livres de la cave au troisième.
    Se rappeler que le cœur est un muscle.
    Remember Ronsard.
    Remember Rabelais.

     

    Remember Purcell. 

     

    Plus immédiates, les six études d’oreillers de Dürer.
    Ont 530 ans tout rond.
    Dire qu’il y eut un oreiller en 1493.
    Qu’une tête le creusa avant que des siècles le scrutent.
    C’est le verso d’un autoportrait.
    D’après la notice en ligne du Metropolitan Museum of Art.

     

    Ma dernière acquisition est un couvre-lit.
    Un drap de bain rose et brun de fabrication anglaise.
    Des napperons de toutes les couleurs.
    Un coupon dans les verts et dans les bleus.
    Modèle Seagrass.
    On dirait les nymphéas mais s’étirant dans une verticalité de rideaux.

     

    Un amateur s’arrête et commente.
    Il fut dans le métier.
    Commente quelques tissus, quelques textures.
    Tous ces motifs à faire tourner la tête.
    Sont les appâts des vies rêvées.
    Je dis à la vendeuse au bout d’un moment la vision se brouille comme l’odorat dans une parfumerie.

     

    Ailleurs il y avait un trou.
    Reprisé.

     

    Tout cela finirait bien par jurer.

     

    On verra bien qui me démantèlera la cervelle.

  • Entre les vignes et la rivière

    Entre les vignes et la rivière
    un trio tompette sax guitare
    jouait par hasard au soleil rasant
    cela formait de belles découpes
    à la bordure des jeunes silhouettes
    des boucles de cheveux cramaient
    dans le contre-jour anonyme

     

    Je fis un aller-retour dans la rivière
    Laissant l’eau me laver
    comme une purification routinière
    et les algues volubiles me sonder
    rugueusement

     

    J’étais encore mouillé
    j’avais des notifications
    je mis tout en vrac dans mon sac
    les cheveux en vrac
    et l’âme et l’âme

     

    Le trio se déliait comme le soir 
    je demandai au guitariste
    est-ce possible de
    alors je pris quelques photos
    cherchant en vain l’impression
    des silhouettes moirées

     

    IMG_4067 - Copie.JPG

  • Café crème

    "Arrête de me regarder, sale pute de l’enfer", dit un homme sur le boulevard. Derrière une vitrine, une femme range des babioles, un œil sur l’homme qui continue de ruminer. Elle est jeune, noire de peau. — L’enfer, c’est cet homme bien sûr.

    210707_le_cafe_creme.jpg

    J’ai trouvé un endroit pour écrire sans avoir l’air de prendre la pose. C’est un café, Le Café Crème. J’y commande invariablement un café crème et un croissant. Tout y est vieillot, défraîchi, sans même les petites joies vintage qui agrémentent le goût du jour. (En anglais, par les haut-parleurs du boulevard : "La Ville de Cahors vous rappelle que le port du masque est obligatoire sur le marché du mercredi et du samedi.") Même l’aimable patron est à la retraite, comme je l’ai appris un jour que des vieux clients le chambraient. La plupart du temps, je suis seul sur la terrasse ombragée, sous les austères fenêtres IIIème République de mon lycée qui porte le nom de Clément Marot. Comment regardes-tu ? — Au ras du sol, des peaux, des voix, du soleil perçant dans une feuille d’ortie. — En somme, tu blasonnes. — Ce serait le regard de mon chat convoitant les lacets de ma chaussure, ou celui d’un moustique louchant sur sa trompe. Mais la différence avec Marot, c’est que je pense aux photons, à la photosynthèse, aux orties géantes d’Asie qui vous tuent. Que le chaos des origines dans les rêveries ovidiennes et l’ordre de la création dans le dogme chrétien sont pour moi entropie et néguentropie : des mots difficiles à verser dans un poème — mais des convictions apaisantes. L’ancienne Fureur poëtique n’est que retrait des affaires du temps, gratuité du stylo et, disons, scriptosynthèse.

    — Le babil des hommes est une prairie sans rosée.

  • Manière de vivre

    Comment je me conduis, comment je parle, marche, regarde, ris, souris, cille, évite, me surveille, me sens surveillé. Ma vitesse, mon volume, mon rapport au vide, au vent, au plein, à la rugosité et à la rigueur, à la douceur et à la caresse, à la sécheresse et à l’humidité. La recherche de l’harmonie et de la géométrie, les lignes droites ici, les courbes là. La multitude des insectes que je discerne à l’œil nu, et tous les autres : nous cohabitons, mais j’essaie de réguler les populations car je redoute l’envahissement, je n’ai pas dit l’invasion.

  • Dévouloir

    Hygiène. Conduite. Morale. — La quatre-cent-soixante-quatrième remarque de Vaugelas a pour titre "Dévouloir", verbe inusité signifiant "cesser de vouloir". Malherbe s’en servit pourtant : "Serait-il possible que celui voulût, qui peut dévouloir en un moment ?" Enfin Malherbe vint, écrit Boileau, mais il n’en finit pas de venir dans les trois tomes des Remarques de Vaugelas, et même de convenir et de circonvenir le plus souvent possible. Vaugelas trouve "dévouloir" tellement commode et significatif qu’il souhaite le voir en usage. Notre langue a bien son "détromper", son "défaire" et son "démêler" ; pourquoi pas son "dévouloir" ? — Pour moi, j’y entends un "défouloir", ce qui ne me déplaît pas. — L’époque est au défoulement ou à l’oisiveté, à la colère ou à la retraite. Je m’applique à cesser de vouloir : je tends à dévouloir. Il faudrait encore débrutaliser le monde. — "On a fait un mot en notre Langue depuis peu, qui est débrutaliser, pour dire, ôter la brutalité, ou faire qu’un homme brutal ne le soit plus, qui est heureusement inventé." — Les exégètes de Vaugelas ne sont pas du même avis, qui fournissent une note laconique après l’article "Dévouloir" : "Monsieur Chapelain traite dévouloir de mot factice qui n’a nul usage. C’est Madame la Marquise de Rambouillet qui a fait débrutaliser." — Ces considérations ne sont pas que pinaillage : j’y trouve mon aliment. Il me semble, après avoir parcouru les trois tomes des Remarques de Vaugelas annotées par Olivier Patru et Thomas Corneille en 1738, que la grammaire telle que nous la concevons de nos jours est une mécanique pour locuteurs incompétents. Les discutailleries de Vaugelas sont tout ce qui compte dès lors que les bases de l’"arrangement des mots" son acquises. — Dévouloir : il y aurait dans ce verbe quelque chose de plus actif et immédiat que dans la locution cesser de vouloir. Dévouloir : déshabiller la volonté. Pour débrutaliser : débrutaliser la police manque à notre vocabulaire et aux hypothèses de travail de nos gouvernants.

    — Quant à Baudelaire : "Travail immédiat, même mauvais, vaut mieux que la rêverie. Une suite de petites volontés fait un gros résultat. Tout recul de la volonté est une parcelle de substance perdue. Combien donc l’hésitation est prodigue ! Et qu’on juge de l’immensité de l’effort final nécessaire pour réparer tant de pertes !" — Ailleurs : "Si tu travaillais tous les jours, ta vie serait plus supportable."

    vaugelas,dévouloir,baudelaire

    Eduard Wiiralt, Põrgu (Enfer)

     

  • Que faire

    carte_postale_cahors 30 nov. 20.png

     

    Je pourrais photographier chaque matin la fumée cotonneuse s’échappant d’une maison voisine pour observer les rayons variables du soleil rasant

    les verts et les bleus de la rivière dont le méandre enlace la ville

    par endroit l’écume empressée

    une branche esseulée

     

    s’y reflétant

     

    le pont ancien aux allures de carte postale
    qui est un peu la Tour de Pise locale

     

    et plus loin la Maison de l’Eau
    sa porte de bunker joliment arrondie

     

    Ce seraient des pansements des béquilles
    de nouvelles routineries

  • Emmanuel

    Emmanuel je t’ai couché dans un récit maniaque
    je te l’enverrai dès qu’il sera publié
    tu comprendras ce que j’ai compris
    quand tu rôdais dans ma vie

    Parfois tu resurgis tu penses à moi
    et moi à toi comme je t’ai écrit et réécrit
    habillé incorporé adjectivé
    mais restons-en là car

    Cette histoire ne peut être une perspective
    autre que narrative
    se laissant néanmoins caresser
    par voie électronique

  • Maison de ville avec grenier

    stefano_cipollari_1b.jpg

    © Stefano Cipollari

     

    S’abîmer dans la peinture, enregistrer chaque image dans un dossier « peinture », prénom_nom_numéro, plus une lettre minuscule quand le peintre a publié plusieurs étapes de travail : le tracé au crayon, la couleur qui emplit la toile petit à petit, le visage d’abord, où le tableau s’anime. 2009, dernière peinture que je puisse archiver, première publiée. C’est un homme au torse nu, à genoux, les mains jointes vers le regardeur, visage tourné vers lui, l’œil gauche bordé de rouge, un aplat rouge et des coulures rouges sur une partie de la toile restée nue. Propriétés du dossier : cent trente fichiers. Ils défilent déjà dans ma tête en mode diaporama. Baudelaire : « glorifier le culte des images (ma grande, mon unique, ma primitive passion) ». À Bruxelles, il a entretenu une rumeur de pédérastie qui courait à son sujet, confirmant ses détracteurs dans leur bêtise, se plaisant à se faire fuir.

    Il fallait faire quelque chose du grenier qui me semblait habitable avec son lambris blanc posé soigneusement comme pour un décor un peu mièvre de chambre d’enfant, son plancher de bois aggloméré rehaussé sur la gauche et sur la droite : un côté qui sera une chambre d’appoint ; l’autre pour stocker les livres qui n’ont pas trouvé de place dans la bibliothèque ainsi que les cartons d’objets divers dont je ne veux pas m’encombrer au rez-de-chaussée et au premier étage. Au milieu, c’est un assez petit carré mais j’y tiens debout. Il y a un parquet flottant, un radiateur, une fenêtre de toit, des prises électriques. Les premiers temps, je pensais en faire une buanderie : j’y aurais installé la planche à repasser, j’aurais tendu des cordes pour faire sécher le linge. Finalement j’en ai fait un bureau, un espace de concentration. Je n’ai pas eu de bureau depuis bien longtemps. Ou plutôt j’ai évité de travailler sur les bureaux dans les appartements que j’ai loués ces dernières années. Je les regardais, j’en remplissais les tiroirs, mais ils restaient décoratifs, inutilement encombrants. Je préférais travailler sur des tables, cuisine, salle à manger. Ici, mon bureau est très fonctionnel. J’y ai installé l’ordinateur, l’imprimante, le scanneur, des livres, et des images : un portrait héroïque où mon frère m’a représenté en petit soldat sous les pectoraux galbés de mon amoureux à la crinière de mythologie nordique ; une vieille photo en noir et blanc développée sur un beau papier baryté, buste d’une jeune fille au chapeau, yeux papillonnant derrière la vitrine d’un antiquaire ; une impression noir et blanc d’une peinture à l’encre noire de Wenjie Ding, sorte d’Adam à la pomme, presque allongé, musculeux et érotique ; un carton d’invitation pour une exposition de Sophie Calle, message lumineux dans la nuit d’une autoroute d’Île-de-France : « Où pourriez-vous m’emmener ? ».

    J’essaierais de me concentrer davantage mais je ne manquerais pas de me disperser. Baudelaire citant Emerson : « The one prudence in life is concentration : the one evil is dissipation. » En l’occurrence, ce sont mes cheveux qui me maintiennent devant les peintures de Stefano Cipollari. Pour le culte des images, je me drogue à la peinture homoérotique. J’ai enduit mes cheveux d’une sombre pâte de henné. Le jeune homme au bain est très beau, cigarette entre les lèvres, yeux entrouverts, visage au reflet dispersé à la surface de l’eau. Il a le désordre enchanteur. J’ai d’abord écrit : il a le désordre de Rimbaud, mais je me corrige. Son icône continue pourtant de rôder, comme elle se superpose à toutes les figures échevelées à la jeunesse un peu boudeuse. Je pensais au Rimbaud en médaillon de Carjat et à celui dont les témoignages de violence imprévisible et de puanteur appliquée peignent un être repoussant autant qu’adorable. Il a laissé des souvenirs de crasse, mais nulle ablution. Rentrant tard dans l’appartement de Théodore de Banville, se couchant habillé entre les draps propres, les souillant de ses bottes crottées, rendant folle la bonne qui chaque jour changeait le linge. Cependant, rien ne troublait le bleu de l’œil cerclé d’un bleu plus profond. Nulle photographie n’en témoigne : il faut croire les amants. La pause dure deux heures après l’application, les cheveux sous un film plastique qui les maintient humides. Je le regarde regardé par le peintre, et sous la peinture se trouve sans doute un instantané : c’est comme si j’y étais, dans cette salle de bain, en vis-à-vis du beau brun clopant, immergé moi-même, le menton au ras de l’eau. Quand je teinte mes cheveux, j’en profite pour récurer la salle de bain, j’inspecte les angles morts, les joints noircis, les rainures encrassées. Le rinçage du henné est long et pénible car la pâte se désagrège en petits cailloux dont le peigne ni l’insistance du jet d’eau ne viennent à bout complètement. Quand je me suis installé, j’ai scruté pendant plusieurs jours les plinthes, les interstices entre les planches du parquet, et les murs et les marches de l’escalier, guettant des punaises de lit qui ne se sont jamais manifestées. L’opération se termine avec un litre d’eau tiède au bicarbonate de soude puis une solution de vinaigre de cidre fortement dilué : les cheveux sont tout à coup plus souples. Il reste à nettoyer les carreaux maculés des parois et la double porte de la douche, et à nouveau les rainures pour qu’elles retrouvent leur pureté plastique. Ce mec n’en finira jamais de cloper. Il n’aura jamais l’âge ni peut-être l’imbécile délicatesse de se faire une couleur. Ses couleurs passeront peut-être, ternies par la poussière d’une brocante, à moins qu’un collectionneur qui n’est pas encore né y rêve les amours domestiques des années vingt. Demain, Stefano publiera une nouvelle esquisse : un dos courbé, une crête en contre-plongée, des cadavres de bouteilles. Nouvelle scène de genre.