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yves-noël genod

  • Illusions d’optique

    Cherchez un médecin sur votre téléphone
    vous trouvez le docteur Descorps
    le bien nommé
    il s’occupera du bouton qui est apparu tel un minuscule champignon au creux de votre coude
    le ligaturera en vous laissant puérilement fermer les yeux
    vous prévenant de sa brutalité 
    mais finalement vous ne sentirez rien
    sur le coup

     

    Ce soir vous irez vous baigner à la rivière
    mais vous craindrez encore que les chevelures profondes des algues vous gardent prisonnier ou qu’un silure vous frôle

     

    À la surface de l’eau vous observerez une figue trop tôt tombée
    mielleuse figue pas même octobrine
    ni la douceur des lèvres

     

    Demain vous arpenterez encore quelque colline de causse blanc
    ferez une offrande à l’antenne monumentale plantée en son sommet
    admirerez la sobriété de la cathédrale et du pont médiéval
    et si c’est le matin croiserez encore le regard d’une biche inphotographiable
    vous marcherez sur ces marches où les mots jeunesse et reconstruction furent gravés l’an 1965 et l’an 1967
    puis un vieil homme vous invitera dans un sentier forestier inconnu des cartes où il descendra plus habile que vous avec son bâton prudent

     

    Un jour prochain vous chercherez le meilleur angle pour dissimuler la cathédrale dans les arbres moutonnants du boulevard et du lointain
    la cathédrale aux dômes jumeaux
    à la couverture de tuile et d’ardoise fine

    4_cahors_cathedrale_aout_21_2.JPG

    Vous retournerez sur la colline avec l’amant de vos trente-trois ans
    fixerez quelques sourires devant la carte postale de l’horizon
    et chercherez les mots en regrettant de n’être capable de formuler les plus précieux qu’entre les lignes de ce poème

     

    Vous discuterez aimablement en anglais avec un touriste poids-plume chinois résidant en Allemagne 
    qui repassera par ici

     

    Vous ouvrirez la porte à un coiffeur un peu avant neuf heures puisque vous n’allez plus chez le coiffeur

     

    Vous laisserez votre chat patauger dans la douche
    soignerez les plis hauts des rideaux
    rangerez quelques galets dans une boîte à chaussures
    rempoterez une orchidée
    contemplerez à la télévision les villes tentaculaires des hauts plateaux des Andes

     

    Plus sérieusement vous tenterez de comprendre le pied de la lettre et la persistance rétinienne du luth constellé dans le sonnet tant aimé de Nerval
    et méditerez la sentence d’Oscar Wilde qui dit ceci que l’expérience est le nom que chacun donne à ses erreurs

  • Tour abolie

    Il fallait d'abord traduire le poème de Guillaume d'Aquitaine en français, puis en anglais. C'était pour les besoins d'un spectacle dont j'ignorais tout. Seul ce poème importait.

    Pour le français, je proposai:

     

     

    Ferai un vers d'absolument rien.

     

     

    C'est ce premier vers qui concentrait toutes les attentions. Certains traducteurs préféraient "un vers de pur néant" ou "de pur rien" comme dans cette version oulipienne.

    yves-noël genod,guillaume d'aquitaine

     

    Pour l'anglais, je proposai une traduction à la manière d'Emily Dickinson:

     

    Will do a Verse out of absolutely Nothing—
    Won't deal with Me nor Other People—
    Won't deal with Love nor Youth—
    Nor anything else—
    I found it sleeping—
    On my Horse—

    Out of what did I make those Verses—I do not know—
    I will transmit Them to the One—
    Who will transmit Them to One Another—
    Over there—towards Anjou—
    So that He can send me from his Case—
    The Counter-Key—

     

    Ici, c'est la contre-clé qui faisait rêver. 

    Contraclau dans l'original.

     

    (Chez Elle, les capitales sont l'attention médusée, l'admiration et l'effroi devant la chose ainsi nommée, si étrangement nommée, et tellement plus étrange encore dans cette épopée du rien qu'est un poème de la main d'Emily.)

     

    Nous en resterions là.

     

    Comme une consolation.

     

     

  • (car je songe volontiers que je songe)

    "Je songe parfois à écrire mes mémoires. Au fond, à quoi bon? L’histoire d’une vanité et d’un naufrage, ça ne vaut pas l’encre pour l’écrire. Que les hommes renversés sont pathétiques! Que j’adorais le raffinement de mon château, les gracieuses arabesques de mes parterres, mes cascades et mes nappes d’eau! Ne reverrai-je jamais mes orangers? Qu’est-ce qui nous conduit à nous détruire ainsi? Quelle forme de vanité allume notre suprême ambition et nous pousse à dramatiser la risible leçon de l’anéantissement?"

    Nicolas Fouquet
    Le Songe de Vaux

     

    "Mon blog est exagéré. J’aimerais beaucoup écrire des choses plus exagérées (inventées). Quand j’en écris, je suis content car elles me semblent plus vraies. Alors ça donne des choses un peu étranges quand mon père y fait allusion: "J’ai lu dans ton blog…" Je lui donne des précisions, je ne sais pas sur quoi: j’ai oublié à peu près les circonstances et j’ai oublié comment je les ai décrites. Mais je sais que tout est à peu près faux. "J’ai lu dans ton blog que tu avais hérité de costumes Yves Saint Laurent…" Euh… C’était probablement un rêve… A propos de rêve, je rêve toutes les nuits, en ce moment (enfin, le matin, j’imagine, puisque je m’en souviens), que je fais des mises en scène. Elles sont merveilleuses, inouïes, des apparitions. Je file du mauvais coton si je me mets à rêver au lieu d’agir, Marguerite Duras ne serait pas contente."

    Yves-Noël
    Comme nous tous faisons une œuvre de notre vie…

     

    "Mon âme me déplaît de ce qu'elle produit ordi­nairement ses plus profondes rêveries, plus folles et qui me plaisent le mieux, à l'impourvu et lorsque je les cherche moins, lesquelles s'évanouissent soudain, n'ayant sur-le-champ où les attacher; à cheval, à la table, au lit, mais plus à cheval, où sont mes plus larges entretiens. J'ai le parler un peu délicatement jaloux d'attention et de silence, si je parle de force: qui m'interrompt m'arrête. En voyage, la nécessité même des chemins coupe les propos; outre ce, que je voyage plus souvent sans compagnie propre à ces entretiens de suite, par où je prends tout loisir de m'en­tretenir moi-même. Il m'en advient comme de mes songes; en songeant, je les recommande à ma mémoire (car je songe volontiers que je songe), mais le lendemain je me représente bien leur couleur comme elle était, ou gaie, ou triste, ou étrange; mais quels ils étaient au reste, plus j'ahane à le trouver, plus je l'enfonce en l'oubliance. Aussi de ces discours fortuits qui me tombent en fantaisie, il ne m'en reste en mémoire qu'une vaine image, autant seulement qu'il m'en faut pour me faire ronger et dépiter après leur quête, inutilement."

    Montaigne
    Essais, Livre III, Chapitre 5, "Sur quelques vers de Virgile"

  • Le rêve de vol

    "La grande nuit, on lit des magazines. On a acheté des magazines. J’ai envoyé tout le monde au bourg. Il fait si froid, si gris. Quelqu’un a dit dans le village, Moi, j’ai connu la neige tous les mois de l’année. La neige, elle parle, elle mugit, elle vit. Elle roule autour de la caravane. Il faut passer le col. Le col enneigé. Il est tout seul dans la nuit. Il ne voit pas la route. Il y a des bâtons dans la neige pour voir la route (pour suivre la route effacée). C’est la nuit, c’est la pluie. La rivière qui était sèche (il a fait jusqu’à trente degrés) recueille l’écoulement de la pluie, comme une grande gouttière. Mais qu’est-ce qu’elle dit que je ne connais pas? Je ne peux pas écrire comme ça sans connaître. Est-ce que je peux dire là que je pense à Pierre? Oui, beaucoup. C’est dingue. Sais pas pourquoi. Je lui écris des choses que je me retiens de lui écrire. Que je pense à lui toujours, le soir, dans la caravane. Si nous étions ensemble, ça ne changerait rien. Comme nous ne sommes pas ensemble, ça ne change pas non plus. Pierre. Je me disais, Moi, je sais ce que c’est qu’un artiste, oh, non, ce n’est pas moi, moi, je sais ce que c’est. C’est Pierre. C’est le seul artiste que j’ai jamais rencontré. En un sens. Je le pense, oui. Je le sais. J’aimerais bien continuer Barbara avec lui. Parce que c’est ça, le fond de cette histoire, c’est de travailler avec lui, de le toucher, lui. Je pensais à lui aussi à Gennevilliers, à lui à la flûte. Oui, c’est le seul artiste que j’ai jamais rencontré – mais qui peut s’en rendre compte? Pas grand monde, non. Moi. Oui, moi.

    «Je t’aime toujours, chaton. J’aimais bien la parenthèse de ton amour dans ma vie.»

    C’est dommage que les homosexuels soient si attachés au sexe. Moi, je suis attaché à l’amour et au sommeil. J’aimerais bien qu’il vienne redormir à la maison. Mais il n’aura pas le temps. Travail et sexe – sont attachés les homosexuels. Moi, tout le reste. Ni le travail ni le sexe. Non: le mugissement du sommeil. Pierre est un artiste. Il dort bien."

    Le dispariteur

  • The biggest french pig ever

    "He is the biggest french pig ever, I can't believe it", on se retrouvait sur le quai, Kate et Felix épiloguaient sur l'incident, et plus loin Yves-Noël, Rémi, et cette dame, cette femme, je ne sais comment dire, qui accompagnait Rémi et qui ne m'avait pas été présentée, danseuse, écrivain je crois. Plus tard, dans le métro, Yves-Noël remarquait ses chaussettes dépareillées, l'une grise, l'autre rouille, et un homme assis à côté d'elle suivait la conversation, visiblement amusé. On avait parlé des chaussures de Kate aussi, Martin Margiela, cuir clair et souple, mais impossibles à décrire.

    Il y a toujours ce moment, dans la première partie, où Kate s'essuie les pieds d'un air dégoûté avant de chausser ses santiag, la culotte est tantôt rose tantôt impression léopard. Le moment où elle ramasse le soutien-gorge de Marlène et dit au public "c'est pas à moi" (rires). Et aussi: "c'est ma secrétaire, j'aimerais vous dire qu'elle est bien mais c'est pas vrai, c'est tellement dur de virer les gens en France".

    Il faut dire que Felix avait un ticket de métro mais qu'il ne l'avait pas utilisé, s'était faufilé derrière Kate comme un black du neuf trois vous demande s'il peut passer avec vous, et vous sentez un corps étranger derrière vous, mais là Kate ne s'était rendu compte de rien, et le contrôleur lui était tombé dessus, Felix, il a failli passer la nuit au poste, le billet de cinquante euros qu'avait fini par tendre Kate l'avait sauvé. "If I had been alone and not drunk, I would have run away", il aurait bondi comme il le fait dans le spectacle, le contrôleur n'aurait rien pu faire.

    Ce matin Yves-Noël disait qu'il faudrait encore lutter, les techniciens avaient mis des gélatines sur les Svoboda, question de sécurité, une ampoule avait éclaté mardi soir au cours de la deuxième partie, morceaux de verre répandus sur le plateau, mais avec les gélatines la lumière était moins dorée maintenant, c'était moins beau, alors il faudrait négocier.

  • Le chevalier désaffublé

    Vivre est assez bouleversant
    quoique médisent nos sceptiques
    De quoi demain sera-t-il fait
    ô plus on va plus on le sait
    car enfin le jeu perd sa mise
    et les dés meurent dans nos mains
    Porte de plus en plus étroite
    qu’il est maigre notre destin
    pour y trouver de quoi le fuir

    J’ai force suffisante en moi
    pour me lever chaque matin
    le dur est de s’acclimater
    à nouveau après cette halte
    en luminosité lunaire
    où le rêve tisse une toile
    que l’on déchire dans la rue

    Pas à pas ramendons filet
    de notre vie imaginaire

    Georges Perros, Une vie ordinaire

    (Et le Dispariteur, au galop, dit-il, je galope je galope mais je ne suis pas à la maison, merci chevalier Queue, il lit encore Perceval, donc, mais il écrit Queue au lieu de Keu. Plus tôt dans la matinée il écrivait: Et Queue parmi la sale vint, trestoz desafublez, et tint an sa main destre un bastonet, el chief un chapel de bonet, don li chevol estoient blont, n'ot plus bel chevalier el mont, et fu tresciez a une tresce, et non, il n'y avait, il n'y eut, dit-on en ancien français, il n'y eut pas de plus beau chevalier au monde, ses cheveux blonds, il avait sur la tête un chapeau, de quoi, de bonnet, je ne comprends pas, ou alors ce sont les poils du bonnet qui sont blonds, il tint dans la main droite un petit bâton, il fut tout désaffublé, et c'est le plus beau mot du texte, désaffublé.)

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  • Yves-Noël dit que je suis distrait car je confonds les ananas et les pommes de terre

    Eternal link

    Me-lis-tu

    Yves-Noël met souvent un lien externe de son blog vers mon blog. Quand je pointe mon curseur sur le titre d'une note dans son blog, je lis "external link". Là, c'est un lapsus, faute de frappe, touche du x pas enfoncée, juste effleurée (je tape vite). Lapsus informatique, non, lapsus des doigts, lapsus digital, lapsus tactile.

    Tropisme informatique et amoureux

    Plus précisément. Je rédige la note, je crée le lien hypertexte vers le blog d'Yves-Noël. Je vérifie ensuite que ça fonctionne sur mon blog, et en pointant le curseur sur ledit lien, une fenêtre minuscule me propose une traduction formulée comme suit: "eternal:éternel". Je me dis alors que le correcteur automatique se trompe avec beaucoup de poésie, me proposant "eternal" là où j'ai écrit "external". Je reviens sur mon rectangle d'écriture Hautetfort, ma page blanche, prêt à déverser une phrase lyrique sur la poésie informatique, la rêverie numérique, etc., et puis je me rends compte que j'ai vraiment écrit "eternal", que l'outil informatique n'a fait que me proposer une traduction de ce que j'ai écrit. Ce n'est rien, la poésie est là quand même, et le lien.

    (Sans doute je suis bien distrait en ce moment.)

  • Embrassement / Errance

    Terminé Fleurs de tempête. Forme de lecture inédite, roman tombeau de la cousine de quelqu'un qui m'est proche, et portrait en contraste de sa soeur, dont je guettais les apparitions au fil des courts chapitres, parce que dès les premières pages, un portrait rapide m'avait indiqué où se porterait mon intérêt: "prendre tous les risques, conduire en ayant trop bu, fumer, exposer sa vie, tomber dans les bras d'un inconnu, ne jamais payer ses contraventions, narguer avec plaisir la loi" (évoquant sa mort, le narrateur dit qu'elle avait dû emporter dans sa chambre d'hôtel des éditions de poche de Duras qu'elle ne lisait plus et dont elle ne prenait aucun soin). Etrangeté de la Bretagne, que je ne connais pas. Le Nord vécu par le narrateur et son amie comme un exil triste dans un pays sans âme, ce pays où sont mes racines et que j'ai quitté il y a à peine plus d'un an. Déambulations dans Paris, je retrouve Fargue, les noms de rues, certains endroits qui semblent tellement liés à l'intimité des personnages qu'il serait indécent d'avoir la curiosité de les chercher.

    Je lis avec intérêt, mais je reste distant au début. Je continue de me poser ces questions récurrentes sur mon écriture, mes écritures, je pense que je n'écrirai plus dans la belle langue classique. Et puis commence le récit de la maladie d'Hélène, le cancer dévorant. Quelques pages avant la révélation de la maladie, le narrateur évoque la Toussaint: "L'entrée dans la saison sombre m'avait toujours mis dans un état d'inquiétude et de marasme intérieur. C'était le mois des ombres, le mois noir au cours duquel la porosité de cette terre avec l'autre monde est totale." Le dernier tiers du livre est insoutenable, je n'ai plus aucune retenue, c'est la dégradation physique de ma mère que je retrouve, la même maladie, les mêmes signes, et pour moi le même égarement de "bête blessée".

    Yves-Noël est chez ses parents, je l'entends presque: «Ouhou!», reviens ma mère du p’tit magasin. J'imagine la neige, beaucoup de neige, comme dans son spectacle à la Ménagerie de Verre, où ses parents firent une entrée inattendue sur le plateau, manteaux, bonnets, lunettes, à quatre pattes. C'était la dernière de Mamzelle Poésie, c'était déjà un conte de Noël. Il écrit: "26 décembre, jour de neige, gouttelettes de vin, de vent". La figure de Duras, aussi. Yves-Noël a écrit quelque chose comme "je tiens à préciser, j'ai connu Duras". C'était dans une note où il reprenait une phrase que j'ai dû écrire, dans un mail sans doute: "j'écris comme je vis". Repentir. L'écriture et la vie, intimement mêlées, ça ne fait en tout cas aucun doute. Ecriture par ellispses, par sauts, par rapprochements soudains (je repense à ce texte de Novarina que je recopiais il y a quelque temps, ça se termine par la métaphore du tissage, du tressage, et Yves-Noël parle de ma façon de rassembler les choses, c'est bien ça, ma forme, qui vaut ce qu'elle vaut, mais qui est ma forme, et c'est amusant parce que c'est ce terme-là qui me vient souvent à l'esprit quand ça se produit, dans la tête ou sur le papier, le rassemblement, l'embrassement).

    Tous ces prêtres autour de nous, qui nous accompagnent. Le prêtre de Saint-Eustache dans Fleurs de tempête, vrai guide spirituel, réflexion profonde, de jeunes prêtres aussi, des gens brillants apparemment (le prêtre de Saint-Germain-l'Auxerrois, après l'audition de l'orgue, il y a quelques semaines, le cocktail dans la sacristie, je n'avais jamais vu ça, un cocktail dans une sacristie, ni un prêtre si élégant, long manteau noir à la coupe impeccable). Le prêtre dont parle Yves-Noël: "J’ai revu Jean Guillet, le prêtre qui m’avait emmené dans les Alpes quand j’avais quatorze, quinze ans. Il est maintenant curé dans mon village natal. Il est allé chercher des photos et on a bien dû constater que cet adolescent longiligne, joyeux, presque carnassier (alors qu’en ville je suis efféminé), c’était ce que j’avais été, celui que j’avais été dans ces voyages qui m’ont tant marqué. Je dis au pluriel bien que je ne m’en souvienne que d’un seul (mais alors si nettement, comme la référence absolue). Mais les photos… Il y a donc eu deux voyages, un en Vanoise, un autre dans le Mercantour – je ne m’en souviens que d’un seul. Je me souviens de l’émerveillement suprême et que, de retour dans la plaine (après – j’imagine une dizaine de jours), je ne voulais plus parler à personne, plus renouer aucun lien et que ça avait duré au moins un jour – où j’étais cloîtré." Moi, c'est mon père, mon Père avec la majuscule aussi (le jour de Noël j'écoutais France Culture sur la route, c'était une émission sur le mariage des prêtres, il y avait une femme qui témoignait, je repensais évidemment à l'histoire de mes parents, à l'honnêteté de mon père qui avait pris les décisions qui s'imposaient pour assurer à ma mère une vraie vie de couple). Tous ces prêtres, porteurs de la parole de l'Evangile, parole d'amour (c'est ce que disait ma mère, parole d'amour, morte dans la foi la plus aveugle, si ce n'était ce soubresaut avant qu'elle perdît conscience: "on est normal / est-ce qu'on est normal / on est normal / est-ce qu'on est normal /on est normal / est-ce qu'on est normal...".)

    Et Duras, enfin: "J’ai quand même raconté l’histoire. Hein, Yann, je crois que j’ai raconté l’histoire aux comédiens. Et j’ai parlé du caractère, de la nature, plutôt, d’Ernesto. Parce qu’il ne peut pas arriver au personnage, Ernesto ; il est trop vaste. Il est nommé, parce que c’est pratique. Ça m’émeut beaucoup, ce que je dis, parce que c’est ce que je pense de lui, ça. On le nomme, parce que c’est pratique, mais à tous les noms dont on le chargerait, il répondrait. Il ne sait pas qu’il s’appelle comme ça. Il ne faut pas, il ne faut pas dire le mot, mais c’est l’être humain, avec Yves-Noël, peut-être, qui est le plus proche de la sainteté, que j’ai jamais rencontré. Une sainteté aride, complètement solitaire, et probablement sans lectures, sans rites, sans messe, uniquement accompagnée de solitude, et d’une solitude terne. Voilà. Mais je crois que si on arrivait à dire des phrases comme ça, ça serait aussi fort que de nommer."

    Angot citant Lacan : "le-nom-du-père/le-non-dupe-erre".