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folie minuscule - Page 11

  • Adieu les cons

    L’argile en séchant ouvre plus grand mes yeux, autrement dit mes paupières tombent irréversiblement.

    La libraire prétend avoir eu du mal à me reconnaître à cause de mon bonnet vert, mais elle m’appelle par mon prénom et me donne du tu. Je lui achète Le pur et l’impur. J’ai remarqué l’absence de h dans son prénom.

    La fête foraine bat son plein pendant le discours présidentiel. Des filles engloutissent des gerbes de barbe à papa plus grosses que leurs têtes.

    À cause d’une salopette je m’enferme aux toilettes plutôt que de me déboutonner à l’urinoir. Le film se termine par un heureux suicide.

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  • Cahors Mundi

    Une femme marche devant moi, son parapluie orange comme une vieille édition anglaise au pingouin, On The Road, la Beat Generation sur un boulevard, l’unique boulevard.

    Je demande à la brocanteuse si c’est de la faïence de Moustier ou de Montauban. Elle hésite, m’assure finalement que c’est du Martres. Elle me fait un prix, m’avoue que le regard du premier ministre lui fait peur, elle redoute les prochaines mesures.

    Comme je remonte le boulevard, un homme dit qu’il a réservé des billets d’avion pour Noël, pas certain cependant de pouvoir partir, mais assuré d’être remboursé en cas d’empêchement.

    La coiffeuse sort de son salon et me reproche de me garer là, d’y laisser trop longtemps ma voiture, trop souvent, je prends la place de ses clients. Je réponds que je comprends mais que je ne pouvais pas deviner le problème, la place n’étant pas officiellement réservée à la clientèle, c’est une place comme les autres, le long du trottoir. Elle me parle de savoir-vivre et de respect : je devrais bouger ma voiture tous les jours. Je ne suis pas entré dans un salon de coiffure depuis trois ans je crois.

    Sur une vieille porte, à la tombée de la nuit, un bouquet de roses desséchées, une carte avec le nom du professeur décapité, en sa mémoire, pour Samuel, lâchement assassiné.

    Au journal, une femme explique qu’elle lave sa vaisselle à l’eau de javel. Je remarque chaque jour de nouveaux insectes dans ma cuisine : un moucheron, une araignée, une minuscule limace. Je laisse les araignées tranquilles quand elles ne sont pas trop grosses, mais je me suis débarrassé d’un mille-pattes répugnant. Je lave le sol à l’eau.

    Je verse le café dans mon mug orange, PENGUIN BOOKS, Aldous Huxley, BRAVE NEW WORLD, A Novel.

    cahors

  • 2020

    N’ayant pas d'avis sur le présent, décidé cependant à traverser ce présent sans époque (selon l'expression de l'indispensable Bernard Stiegler), renonçant au biberon de l’information et à l’écume des opinions, à chaque jour son lot de lectures et de petites secousses mentales. Michaux en vertu de "l’effroyable fraiseuse de ta présence", Baudelaire puisqu’"il faut être toujours ivre", Char dans l’espoir d’un "psychagogue", et Apollinaire pour "1909", dont il fallait bien faire un "2020" en guise d’exercitation non genrable.

     

    2020

     

    Il ou elle avait un jean de coton délavé
    Selon la coupe de l’époque faisant la taille
    Haute artificiellement

    De larges trous auréolés de fils mal coupés
    Béaient à la froidure de l’automne
    Souriant à la rue jonchée
    De genoux nus

    Un vague t-shirt aux bleus et roses passés
    Affichant un slogan américain
    enveloppait ce torse menu

    Le visage seul rayonnait de ses yeux animés
    Les lèvres dissimulées sous un masque chirurgical
    D’un bleu hospitalier

     

    Ne vois-tu rien venir

     

    Le garçon ou la fille au jean de coton troué
    Promenait son image sur les réseaux
    Et souriait à l’autre bout du monde
    Par le charme inquiet d’un filtre trop flatteur

     

    J’aimais l’anonymat des foules et leur diversité bizarre
    Le monde y déversait sa fantaisie poudreuse et sa folie furieuse
    La fleur de la jeunesse et le vague-à-l’âge
    L’angoisse de ce siècle et l’à-quoi-bon du précédent
    Se frôlaient sans se voir dans l’écume du présent

  • Maison de ville avec grenier

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    © Stefano Cipollari

     

    S’abîmer dans la peinture, enregistrer chaque image dans un dossier « peinture », prénom_nom_numéro, plus une lettre minuscule quand le peintre a publié plusieurs étapes de travail : le tracé au crayon, la couleur qui emplit la toile petit à petit, le visage d’abord, où le tableau s’anime. 2009, dernière peinture que je puisse archiver, première publiée. C’est un homme au torse nu, à genoux, les mains jointes vers le regardeur, visage tourné vers lui, l’œil gauche bordé de rouge, un aplat rouge et des coulures rouges sur une partie de la toile restée nue. Propriétés du dossier : cent trente fichiers. Ils défilent déjà dans ma tête en mode diaporama. Baudelaire : « glorifier le culte des images (ma grande, mon unique, ma primitive passion) ». À Bruxelles, il a entretenu une rumeur de pédérastie qui courait à son sujet, confirmant ses détracteurs dans leur bêtise, se plaisant à se faire fuir.

    Il fallait faire quelque chose du grenier qui me semblait habitable avec son lambris blanc posé soigneusement comme pour un décor un peu mièvre de chambre d’enfant, son plancher de bois aggloméré rehaussé sur la gauche et sur la droite : un côté qui sera une chambre d’appoint ; l’autre pour stocker les livres qui n’ont pas trouvé de place dans la bibliothèque ainsi que les cartons d’objets divers dont je ne veux pas m’encombrer au rez-de-chaussée et au premier étage. Au milieu, c’est un assez petit carré mais j’y tiens debout. Il y a un parquet flottant, un radiateur, une fenêtre de toit, des prises électriques. Les premiers temps, je pensais en faire une buanderie : j’y aurais installé la planche à repasser, j’aurais tendu des cordes pour faire sécher le linge. Finalement j’en ai fait un bureau, un espace de concentration. Je n’ai pas eu de bureau depuis bien longtemps. Ou plutôt j’ai évité de travailler sur les bureaux dans les appartements que j’ai loués ces dernières années. Je les regardais, j’en remplissais les tiroirs, mais ils restaient décoratifs, inutilement encombrants. Je préférais travailler sur des tables, cuisine, salle à manger. Ici, mon bureau est très fonctionnel. J’y ai installé l’ordinateur, l’imprimante, le scanneur, des livres, et des images : un portrait héroïque où mon frère m’a représenté en petit soldat sous les pectoraux galbés de mon amoureux à la crinière de mythologie nordique ; une vieille photo en noir et blanc développée sur un beau papier baryté, buste d’une jeune fille au chapeau, yeux papillonnant derrière la vitrine d’un antiquaire ; une impression noir et blanc d’une peinture à l’encre noire de Wenjie Ding, sorte d’Adam à la pomme, presque allongé, musculeux et érotique ; un carton d’invitation pour une exposition de Sophie Calle, message lumineux dans la nuit d’une autoroute d’Île-de-France : « Où pourriez-vous m’emmener ? ».

    J’essaierais de me concentrer davantage mais je ne manquerais pas de me disperser. Baudelaire citant Emerson : « The one prudence in life is concentration : the one evil is dissipation. » En l’occurrence, ce sont mes cheveux qui me maintiennent devant les peintures de Stefano Cipollari. Pour le culte des images, je me drogue à la peinture homoérotique. J’ai enduit mes cheveux d’une sombre pâte de henné. Le jeune homme au bain est très beau, cigarette entre les lèvres, yeux entrouverts, visage au reflet dispersé à la surface de l’eau. Il a le désordre enchanteur. J’ai d’abord écrit : il a le désordre de Rimbaud, mais je me corrige. Son icône continue pourtant de rôder, comme elle se superpose à toutes les figures échevelées à la jeunesse un peu boudeuse. Je pensais au Rimbaud en médaillon de Carjat et à celui dont les témoignages de violence imprévisible et de puanteur appliquée peignent un être repoussant autant qu’adorable. Il a laissé des souvenirs de crasse, mais nulle ablution. Rentrant tard dans l’appartement de Théodore de Banville, se couchant habillé entre les draps propres, les souillant de ses bottes crottées, rendant folle la bonne qui chaque jour changeait le linge. Cependant, rien ne troublait le bleu de l’œil cerclé d’un bleu plus profond. Nulle photographie n’en témoigne : il faut croire les amants. La pause dure deux heures après l’application, les cheveux sous un film plastique qui les maintient humides. Je le regarde regardé par le peintre, et sous la peinture se trouve sans doute un instantané : c’est comme si j’y étais, dans cette salle de bain, en vis-à-vis du beau brun clopant, immergé moi-même, le menton au ras de l’eau. Quand je teinte mes cheveux, j’en profite pour récurer la salle de bain, j’inspecte les angles morts, les joints noircis, les rainures encrassées. Le rinçage du henné est long et pénible car la pâte se désagrège en petits cailloux dont le peigne ni l’insistance du jet d’eau ne viennent à bout complètement. Quand je me suis installé, j’ai scruté pendant plusieurs jours les plinthes, les interstices entre les planches du parquet, et les murs et les marches de l’escalier, guettant des punaises de lit qui ne se sont jamais manifestées. L’opération se termine avec un litre d’eau tiède au bicarbonate de soude puis une solution de vinaigre de cidre fortement dilué : les cheveux sont tout à coup plus souples. Il reste à nettoyer les carreaux maculés des parois et la double porte de la douche, et à nouveau les rainures pour qu’elles retrouvent leur pureté plastique. Ce mec n’en finira jamais de cloper. Il n’aura jamais l’âge ni peut-être l’imbécile délicatesse de se faire une couleur. Ses couleurs passeront peut-être, ternies par la poussière d’une brocante, à moins qu’un collectionneur qui n’est pas encore né y rêve les amours domestiques des années vingt. Demain, Stefano publiera une nouvelle esquisse : un dos courbé, une crête en contre-plongée, des cadavres de bouteilles. Nouvelle scène de genre.

     

  • Nulle heure où dormir

    Peu importait l’heure, les réveils de brocante alignés sur une étagère métallique donnant des heures dépareillées, le cadran ridé de la grande horloge figeant le temps de la fête jusqu’à la fraîcheur de la nuit, la machine à bulles de savon peinant à fonctionner malgré les efforts des enfants qui en actionnaient la manivelle, le ronronnement du vieux compteur électrique soutenant l’immense guirlande lumineuse du vénérable chêne.

    Je me suis balancé dans un fauteuil en corde suspendu à une branche du chêne, puis j’ai attendu le lever du jour, allongé dans le camion. Il a plu enfin.

    Nous vivons parmi les insectes. Ils font vibrer l’air jour et nuit. Je connais la sensation du criquet qui se cogne contre mon ventre ou mon genou. Le phasme se tenait droit et immobile au bord d’une feuille de fraisier comme nous l’observions ce soir. C’est toujours le même phasme sur le même fraisier. La nuit, il faut parfois déloger un papillon du cou ou de la tempe. Je me demande comment les papillons de nuit vivent le jour et comment ceux du jour vivent la nuit.

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  • Mues

    Le chat ne se nourrit que de souris. Il les mange devant la porte puis lape de l’eau dans le bol bleu. Suit une sieste, sur l’herbe sèche devant la grange ou sur l’appui de fenêtre de la cuisine. Parfois il entre dans la maison, nous regarde avec insistance et nous parle.

    J’ai joué à la balle avec un petit gars aux boucles blondes. Il riait quand je sautais pour l’attraper. En courant dans la grange, il délaissa la balle pour le chat qui passait par là. Une fois qu’il fut couché, sa mère dit qu’elle ne l’inscrirait pas à l’école, elle refusait de le confier à l’éducation nationale, il apprendrait mieux selon ses envies. Je ne dis rien, on ne m’avait pas interrogé sur mon métier.

    Les ruches étaient peintes de toutes les couleurs. Il y avait une mue de couleuvre sur une table dans la grange. Une vache en papier mâché avec un boa.

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  • La minoterie

    la minoterie

    Je cherche l’image la plus imagée : la taupe dans son terrier, l’oiseau dans son nid, l’homme des cavernes dans sa caverne. — Je suis le locataire dans sa location, l’homme temporairement là, l’éternel transitoire dans cet appartement incongru. — Incongru, il l’est : incrusté dans une minoterie de l’âge du béton. Quelques mètres au-dessus de la douche, vous observez la pyramide inversée par où coulait le grain de blé — son sillon, sa cicatrice, ses restes de stigmates. C’est la partie la plus élevée de l’appartement, et la pièce la plus exiguë : douche, machine à laver, lavabo. C’est la pièce la plus sombre ; aussi j’y stocke mes conserves de chou et de céleri.

    la minoterie

    Là où je déambule stupidement, où je m’interroge longuement sur la course du monde, sur la folie d’y participer et l'embarras de la quitter, sur le peu de fondement de mes certitudes et les biais de mes croyances, sur les bornes de ma conscience et la plasticité de ma morale, en somme, là où je doute et puis longuement douter de tout, et douter répétitivement, pathologiquement, là : il y eut des minotiers qui minotaient du matin au soir et n’avaient guère le loisir de l’interprétation planétaire des Fleurs du Mal ni de Pierrot lunaire. Il me plaît que, dans cette ancienne minoterie industrielle, je façonne mon pain, me prenant pour le boulanger dans la minoterie. — Mais j’ai confiné mon levain dans le réfrigérateur, car à quoi bon faire du pain pour soi seul, quand le pain se mange avec un copain, compagnon de pain ?

    la minoterie

  • Distorsions lunatiques

    albert giraud,pierrot lunaire

    CUISINE LYRIQUE

    Ridé comme une pomme blette,
    Le Pierrot agite très fort
    Un poêlon, et, d’un brusque effort,
    Croit lancer au ciel qui paillette
    La Lune, la jaune omelette.

    Albert Giraud, Pierrot lunaire

    Des hommes tournent autour de la Terre et le tourisme n’a jamais aussi bien porté son nom. On les imagine dans l’espace mais ils sont aussi loin de la Terre que moi de la France quand je viens de passer la frontière belge. — On pronostique l’avènement du tourisme lunaire en 2024.

    Sur la table il y a un verre, une tasse, une carafe, une bombe et deux tubes de peinture, des piles de livres, un ordinateur, un scaneur, une imprimante, etc. J’écoute un sceptique qui dit que ces objets, s’ils devaient avoir une influence sur moi, y parviendraient de manière plus certaine que la planète Mars.

    Les croyances sont peuplées de détours et de subterfuges, de raisonnements obliques et de confirmations biaisées. Mon jardin poétique aussi, où se logent mes inquiétudes et mes rêveries. On a calculé trois fois mon ascendant mais je ne m’en suis jamais souvenu, et mon heure exacte est inconnue. Mon nom est Pierre, pas Pierrot, et j’enfile des perles sur le collier de mon scepticisme.

    Quant à la poésie, on la préfère muette ou travestie. Si elle brode les noms des astres, elle frise le ridicule. — Le sceptique dit que le sens n’immunise pas contre le hasard, la bonne foi contre l’erreur.

     

    albert giraud,pierrot lunaire