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folie minuscule - Page 10

  • Toute chose animée

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    Ici
    ne
    sont
    que
    paroles sans épices

     

    Je fouine
    quelques dizaines de milliers de lignes de chiffres

     

    Ah mais
    le photographe
    ce que c’est qu’un œil étoupé
    un résidu d’os
    une ombre d’homme
    quand cent mille meurent

     

    Je balance entre amour et téquila
    pégase et vache
    Yang-Tsé-Kyang et postérité

  • Hrlmnt

     

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    © Lou Le Cabellec

     

    (Se) (ré)chauffer. (Re)priser et patienter. Être patient, pâtir, paître (envoyer). (Re)nier, (se) négliger.

     

    Parler (au lac, au temps, à l’éternité, au néant).

     

    (Dé)finir (affect, concept, percept) : (en) finir.

     

    Vérité (un mot). Nuance (seule fiance).

     

    Musique (cérébrale, potentielle, inaudible) : symphonie intérieure.

     

    Mute / mute.

  • Oblitération

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    "...il aperçoit d’un endroit à l’autre de l’étendue de sa vision remuer d’une façon particulière une sorte de petits signes, assez peu marqués, translucides, à formes de bâtonnets, de virgules, peut-être d’autres signes de ponctuation, qui, sans lui cacher du tout le monde l’oblitèrent en quelque façon, s’y déplacent en surimpression, enfin donnent envie de se frotter les yeux afin de re-jouir par leur éviction d’une vision plus nette."

     

     

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  • Vivre sa vie

    Vivre sa vie, je ne savais même pas que c’était un film.

    La vie est protocolaire, numérisée, vérifiable.

    Chateaubriand écrit que Cicéron avait raison de recommander le commerce des lettres dans les chagrins de la vie.

    J’ai arrêté de lire et me nourris d’images viriles, préférant celles qui viennent de Chine car je les vois en temps réel, l’encre à peine séchée. Les amants sont séparés par le fleuve mais ils boivent la même eau.

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    © Wenjie Ding / Portrait de Tony sur un poème mélancolique de Li Zhiyi.

  • "— J’ai rêvé de toi cette nuit.

    — Et moi d’araignées."

    Il y a un parfum d’air frais dans la chambre, la fenêtre est grande ouverte. Je change les draps, secoue la couverture, chasse les moucherons, recouvre la terre de la sansevière d’un film plastique pour étouffer les bestioles qui pullulent.

    Je noircis ma barbe et mes yeux.

    La voix de Virginie Despentes dans une lecture rugueuse : "Je ne suis pas isolé de toi, et tu n’es pas protégé de moi."

    En marchant vers le parking, je programme la promenade légale du 1er novembre de  14h30 à 15h30, je déplace ma voiture pour que nul ne me reproche d’abuser du stationnement public, puis descends jusqu’à la rivière par un nouveau chemin à pente raide sous les aboiements de deux affreux chiens qui me tueraient sans le grillage qui les retient. Je m’arrête devant des mousses sur un tronc d’arbre. Le pare-brise d’une voiture est recouvert de feuilles mortes.

    "Tes mains feuilles de l’automne."

    De l’autre côté de la rivière, je photographie un jeune pécheur. Tout est vert, brun, jaune et bleu.

    Je reste à la porte du débit de tabac car j’ai oublié mon masque : cela n’empêche pas la transaction. Deux vieilles femmes discutent sur un banc devant la place désertée par la fête foraine : des jeunes y font du skate, maillots trempés de sueur.

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  • Zen

    Comme le jeune homme veut reprendre sa place dans la file après avoir rempli son formulaire, un vieillard plus dignement sapé que tous les autres patients, ne l’ayant pas calculé, lui intime d’aller au bout de la file. L’incident me tire brutalement de ma contemplation : la fine découpe de l’oreille, le pavillon rabattu par l’élastique du masque, le dégradé parfait du cheveu crépu. La praticienne me tend un mouchoir à usage unique pour que je me mouche avant l’écouvillonnage. Elle me trouve zen. Il n’y a qu’à respirer normalement, je réponds.

    promenade légale du 31 oct. 20 (1).png

  • Emmanuel

    Emmanuel je t’ai couché dans un récit maniaque
    je te l’enverrai dès qu’il sera publié
    tu comprendras ce que j’ai compris
    quand tu rôdais dans ma vie

    Parfois tu resurgis tu penses à moi
    et moi à toi comme je t’ai écrit et réécrit
    habillé incorporé adjectivé
    mais restons-en là car

    Cette histoire ne peut être une perspective
    autre que narrative
    se laissant néanmoins caresser
    par voie électronique

  • Cou coupé

    L’électricien a relié la maison à la terre. Il a cassé un carreau et découvert un ancien carrelage qu’il a fallu casser aussi. Il parlait tout en travaillant, se parlait à lui-même, puis nous avons discuté. Il a changé quelques prises qui n’étaient pas aux normes, sécurité enfantine. Une fois qu’il est parti, je remets tout en place, pense un instant à l’eau de javel avant de me résoudre à laver le carrelage à l’eau claire, comme d’habitude.

    En sortant de chez moi, ce sont les criardes pomponnettes qui frappent devant le mur de fortification clôturant le cimetière. Des voisins discutent au pied de leurs voitures arrêtées momentanément dans la rue étroite. Les coffres ouverts sont chargés de provisions. Ils commentent la nouvelle signalétique qui permet aux cyclistes de remonter la rue en sens inverse. Cela ne leur plaît guère.

    Un A4 scotché sur la porte d’entrée m’informe que la médiathèque est fermée jusqu’à nouvel ordre. Je repars avec les livres que je devais rendre aujourd’hui : Convulsions et Au commencement était l’adverbe. À la supérette, je saisis puis repose deux bombes d’insecticide après avoir lu le mode d’emploi. Je trouverai un autre moyen de me débarrasser des bestioles qui voltigent autour de mes plantes vertes.

    Le soleil est trop vif pour ne pas ressortir.

    Tracer un cercle autour de ma rue qui porte le nom d’un pape oublié. Se promener dans le rayon d’un kilomètre autorisé par décret. Marcher pour rien.

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    Le soleil est trop vif pour ne pas ressortir, mais cela reste une phrase.

  • Vivo al peccato, a me morendo vivo

    Un dernier film à onze heures, un garçon-chiffon coupé au bol portant un pull rouge au motif moutonnant. "Tu es beau de partout", dit-il à une beauté assise au bord d’une piscine.

    Un dernier verre en terrasse, citron et glaçons, les dernières basses de la fête foraine, les derniers hurlements des corps projetés dans les airs.

    esclave_mourant.jpgEncore un dernier film dans la soirée, Michel-Ange et un immense monstre de marbre blanc, beaucoup de cheveux blancs dans la salle. Je demande à un élève croisé dans l’escalator quel film il va voir : 30 jours max, qui sonne comme l’objectif du confinement automnal. — Michel-Ange : "Je vis pour le péché, je vis en me mourant. Ma vie n’est plus à moi, c’est celle du péché. Mon bien me vient du ciel et mon mal de moi-même, par ce vouloir infirme qui m’a déserté. Ma liberté s’est asservie, ma part mortelle est devenue mon dieu. Ô misérable état ! Pour quel malheur, quelle existence suis-je né ?"